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Mathieu RIBOULET

Avec Bastien


Parmi les films pornographiques dans lesquels il se perd, le narrateur, dont nous ne saurons rien, repère Bastien, la trentaine sereine, la liberté insolente de la beauté et du plaisir à l'œuvre.
Fasciné, il le suit à la trace de film en film et imagine bientôt des prolongements à ce qui est donné à voir sur l’écran. Pour celui qui, dans sa nudité, livre son corps à ses partenaires et s'offre au regard des autres, il verrait bien une enfance en Corrèze dans un hameau isolé, au sein d'une famille aimante, un amour d'enfance disgracieux et rejeté par les autres, mort dans un accident de voiture à huit ans.
«  Nicolas est un petit garçon mort qui flotte dans le grand corps de Bastien, dans sa grande âme, c'est un bande de brume qui se déploie dans l'ombre, c'est un allié précieux dans la bataille que Bastien livre au ciel. »
«  Les parents de Bastien : de ces gens que l'on dit sans histoires (...) L'essentiel de la vie commune qu'avaient construite Alice et Martin tenait à la vivacité de leurs engagements : vivre à Bongue, y élever trois enfants, travailler pour élargir le champ des possibilités de ceux qui croisaient leur chemin – Martin était médecin hospitalier, Alice éducatrice pour jeunes adultes handicapés. (…) La grand-mère d'Alice l'avait élevée à Pralong, son hameau creusois natal qu'elle n'avait presque jamais quitté après la disparition prématurée de ses parents dans un accident d'avion. (…) Etudes à Bordeaux où elle avait rencontré Martin, et retour, sinon à la case départ, du moins tout à côté, à Bongue où ils avaient acheté une ferme désertée depuis une génération qu'ils avaient petit à petit retapée en y vivant. Pralong, Bongue, cela sonnait comme des noms du Coromandel ou du delta du Mékong, c'était d'une séduisante incongruité pour ces poignées de bâtisses perdues dans le massif des Agriers. Alice voyait des jonques dessiner leur profil d'idéogramme sur les flancs du Vareyron, elle aimait cette présence du monde que la beauté des lieux et ses facultés de perception insufflaient à leurs vies. »

Tentant de débusquer, sous les images crues des scènes de plaisir, les secrets d'une vie, de la vie, il inscrit pour mieux l'envisager, le corps de l'amant dans le cadre plus vaste d'une nature sauvage, attribue à Bastien une pratique régulière, solitaire et sensuelle de l'escalade. Il le dessine dans l'effort, celui de son travail de régisseur et d'assistant sur des plateaux de théâtre et de cinéma, celui de la marche dans les Causses ou de l'ascension. « Ainsi tout dans la vie de Bastien était ouvert : le corps, la maison, le travail et le monde. »
Le spectateur narrateur, comble les vides, fouille les ombres et les regards des scènes pornographiques qu'il se repasse inlassablement pour débusquer sous la réalité le secret de la vie.
« Ils se dissolvent habituellement en une jouissance qui n'a de misérable que le nom qu'on lui donne quand on ne l'a pas éprouvée. Les acteurs, eux, donnent tout. (…) ils sont payés pour donner. Ce faisant, on le sait, ils ne lâchent rien. (…) son mystère croîtra à la mesure de sa nudité, de ses propositions toujours plus audacieuses dont aucune n'épuisera mon regard. (...) En hommes libres ils ont mis en scène et diffusent le spectacle de leurs servitudes chèrement gagnées, tapageusement cultivées, platement représentées. Et derrière les écrans, toujours à l'affut de la figure primaire qui nous fait avancer, nous guettons le moment où les hommes vont jouir, nous attendons la mort. (…) Et sur le champ de cette bataille, Bastien. Les corps sont ouverts, balayés par l'orage du monde, on a les Valmy et les Verdun qu'on peut. »
Et imperceptiblement le voyeur laisse libre court à sa nature première, celle d'un contemplatif semi-mystique, épris de beauté des corps et des paysages, à la quête de l'essence des choses, du monde et d'absolu.

Un roman qui, au-delà du récit de la fascination d'un homme pour le corps d'un autre, évoque magistralement l'enfance, l'amour, la vie, le désir, le plaisir, la mort. Un hymne à la beauté de la nature, de l'homme, qui recèle en ses fondements une mise en question du monde.

Ce récit entrecroise lyrisme, poésie et sensualité. Et si le sexe et l'homosexualité y sont bien évidemment présents, les images brutes des scènes pornographiques sont restituées sans fard mais sans provocation, transformées en matériaux d'un monde secret à décrypter.
Il se dégage au fil de cette errance personnelle portée par une langue travaillée, précise, musicale, une simplicité, une étrange force évocatrice qui envoûte.
Un portrait lumineux, brutal, éminemment littéraire, par lequel il faut se laisser embarquer hors tout a priori. Un roman surprenant mais magistral !

Dominique Baillon-Lalande 
(26/08/10)    



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Editions Verdier

128 pages - 14 €












Photo © Sophie Bassouls
Mathieu Riboulet,
né en 1960, vit et travaille à Paris et dans la Creuse. Après des études de cinéma et de lettres modernes, il réalise pendant une dizaine d’années des films de fiction et documentaires autoproduits en vidéo, puis il se consacre à l’écriture. Il a déjà publié neuf livres.