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Rithy PANH (avec Christophe Bataille) Qui se souvient des Khmers rouges ? Qui se souvient du Kampuchéa démocratique, sinistre parti marxiste-léniniste ayant régné par la terreur sur le Cambodge de 1975 à 1979 ? Les idéologies passent, mais les blessures restent. Ce sont ces blessures que Rithy Panh met à nu dans L'élimination, livre écrit en collaboration avec Christophe Bataille. Rithy Panh a treize ans quand les Khmers rouges prennent le pouvoir. Treize ans, c'est l'âge des premières amours. Pour Rithy Panh, ce sera l'apprentissage de la mort, de la famine, de la déshumanisation. Il perdra tout, sauf la vie : "J'étais sans famille. J'étais sans nom. J'étais sans visage. Ainsi je suis resté vivant, car je n'étais plus rien." Plus tard, pour raconter ce cauchemar et tenter de comprendre la folie meurtrière de l'Angkar, il deviendra cinéaste et se confrontera à Duch, le bourreau de son peuple, le chef du S21, le camp où étaient torturés et exécutés tous "les ennemis du peuple". L'Elimination alterne ainsi des passages où Rithy Panh témoigne pour sa famille disparue et d'autres où, à l'occasion du procès des principaux dirigeants du Kampuchéa démocratique, il dialogue avec son bourreau. Qui est Duch ? Un homme cultivé, ancien professeur de mathématiques, bon connaisseur de la culture française. Un homme de l'ombre aussi, un policier qui dirigeait les interrogatoires au S21, passant des heures dans son bureau à annoter les confessions des suppliciés, organisant l'élimination des "ennemis de classe" avec une efficacité d'orfèvre. Un pervers, Duch ? Un fou ? Vous n'y êtes pas. Il incarne plutôt ce qu'Hannah Arendt, à l'occasion du procès Eichmann, appelait la banalité du mal. Une banalité qui sommeille en chaque homme, ni perversion ni violence physique, et qui semble pourtant procéder des deux. En soi, Duch ne fait pas peur, il n'est pas plus violent qu'un autre ; mais sa rhétorique est terrifiante, à l'exemple des slogans révolutionnaires de cette époque : "Si tu es un libertaire, si tu veux être libre, pourquoi ne pas mourir à ta naissance ?" "Qui proteste est un ennemi, qui s'oppose est un cadavre !" Ces slogans disent tous la même chose : avant d'être un acte, la révolution est un langage. Et c'est ce langage qui rend possible le pire. A ce sujet, Rithy Panh établit des parallèles avec la façon dont les nazis avaient investis leur propre langue pour l'idéologiser, mais aussi et cela paraîtra peut-être choquant à certains lecteurs français avec certains discours de Saint-Just. Bien plus, Rithy Panh se fait l'écho aussi de ce que certains intellectuels français pensaient du processus révolutionnaire engagé au Cambodge. Parmi eux, et non des moindres, Alain Badiou et Noam Chomsky. Le premier, dans un article du Monde daté de janvier 79, parle de "formidable campagne anticambodgienne", face à la découverte des crimes perpétrés par les Khmers rouges. Le second, en 1980, rejette en bloc toutes "les critiques particulièrement virulentes" à l'égard du Kampuchéa démocratique. On reste sans voix devant de tels propos, guidés par la mauvaise foi, l'ignorance, le ressentiment. Trois choses contre lesquelles se bat Rithy Panh, par son travail de cinéaste et d'écrivain, lui qui a tout perdu, sauf le devoir de transmettre aux vivants ce que fut l'ampleur de cette perte. Pascal Hérault (29/06/12) |
Sommaire Lectures Grasset (Janvier 2012) 336 pages - 19 €
Film sorti le 18 janvier 2012 Plusieurs de ses films sont disponibles en dvd. |
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