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Juan Manuel ROCA

Voleur de nuit



Juan Manuel Roca, né à Medellin (Colombie) en 1946, est poète, nouvelliste, essayiste et journaliste. Personnalité remarquée, il est fait Docteur Honoris Causa en littérature à l’Universitad di Valle. Il a dirigé un magazine culturel hebdomadaire "El espectador". Sa poésie a été primée à plusieurs occasions.

Dans un ouvrage d’une belle facture, les éditions Myriam Solal nous présente Voleur de nuit, une sorte d’anthologie bilingue, rassemblant des poèmes publiés entre 1977 et 2005, dans une traduction remarquable de François-Michel Durazzo. Il me faut aussi vous dire que le recueil a été préfacé par Jean Portante, et ce, de si belle façon, que j’avais presqu’envie de vous la donner à lire, mais cela n’aurait pas été de bon aloi. En couverture, il y a une très belle photo réalisée par Mohror (Les hypothèses de Personne).

Dans Voleur de nuit, Juan Manuel Roca nous entraîne dans un monde sombre assez étrange, où le poète sait transcrire, en trouvant les ouvertures, les fissures qui permettent de passer de l’autre côté du miroir, une sensibilité au sombre peuple des miroirs que beaucoup de gens ignorent. Chaque poème, telle une méditation renouvelée, semble apprivoiser l’idée d’une disparition, d’un épuisement du monde. Les vivants disparaissent, laissant place aux fantômes car les miroirs capturent les lieux et les matières. L’écriture est forte, de la puissance du désespoir qui l’anime. Il nous rappelle que tous, nous avons tendance à vivre comme des aveugles. Dans L’art d’être aveugle, le poète regarde, au sens plein du terme :

I.
De la terrasse, à l’heure où le soleil scrutait des becs
d’oiseaux bleus, ma mère et moi nous regardions le patio
dans la maison des aveugles.

II.
Les enfants aveugles remplaçaient le ballon par une boite
en fer blanc et jouaient avec le bruit. Quand le bruit
roulait à un endroit du patio, les enfants le poursuivaient,
et ils tapaient dedans en courant entre les ombres.

III.
Ma mère et moi sur la terrasse. En bas, des anges de
l’ombre couraient comme des fous après le bruit. Puis
notre maison était une cage. Ma mère se promenait dans
la chambre en nettoyant l’œil des portraits de ses morts.
J’écoutais le glissement des ombres dans la demeure.

IV.
Au milieu d’arbres dont lévitait la sombre floraison, la
maison nous protégeait des soirs d’orage. Alors la nuit,
abandonné au clos du rêve, tel un aveugle je poursuivais
le bruit d’eau de cette femme inconnue.

V.
Je demandais l’étrangère, sans penser que nous sommes
tous des étrangers dans le rêve. Je me promenais coiffé d’un
bonnet à clochettes en des jardins pluvieux écoutant le
plafond piaffant d’une écurie ou un bruit de bibles dans les
pièces voisines.

VI.
La nuit me tatouait.

Le poète vient nous rappeler que regarder ne se résume pas à voir avec les yeux, qu’observer est encore plus que regarder. Qu’un véritable regard nous fait reconnaître des évènements qui ne se perçoivent avec les yeux, qu’en la chambre noire de notre cerveau se révèlent bien plus que ce que les yeux voient. Ainsi, dans C’est le soleil le poète ajoute : Tous, au regard du futur, nous appartenons à la carte de / Comala, / Nous sommes des brins de lumière, un cercle d’ombres / causant avec la mort. / Ce soleil n’est-il pas fatigué de briller sur les toits gris de / l’absent ?

Plus loin dans le recueil, il ajoute : Je ne veux pas m’habiller en devin. / Mais je suis le futur de la fillette qui grandit / Ou de l’arbre choisi par le bûcheron / Sur moi reposent les minarets, les statues, les fontaines. / Comme Dieu, je suis partout. / Je me demande comment il se fait qu’on ne m’entende pas.

Il y a dans ce recueil, Voleur de nuit, comme un monde désespérant qui nous entoure et une vitalité de l’homme à regarder et à lutter contre une dérive au silence. J’aimerais vous communiquer tout le plaisir que j’ai vécu à la lecture de ce recueil de Juan Manuel Roca et je manque de mots tant mon enthousiasme est grand. L’écriture nous emmène sans nous lâcher, à aucun moment de la lecture, les yeux n’arrivent à s’en détacher.

Gilbert Desmée  (14/02/10)    



L'œuvre de Juan Manuel Roca a été récompensée par de nombreux prix, dont :
• Prix de poésie Eduardo Cote Lamus (1975)
• Prix de l’Universidad de Antioquia (1979)
• Prix de la meilleure critique de la Cámara Colombiana del Libro (1992)
• Prix national de la nouvelle Simón Bolivar (1993)
• Prix de l’Universidad de Antioquia (2000)
• Prix de poésie du monde latino-américain Victor Sandoval (2007)
• Prix José Lezama Lima – Casas de las Americas (2007)



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Poésie










Myriam Solal Éditeur

80 pages - 14 €




Myriam Solal Éditeur
3, boulevard Morland
75004 Paris