Virginie JOUANNET ROUSSEL

L'amour est un carburant propre



Prix Prométhée 2000 pour Les hommes sont des petits poucets, Virginie Jouannet Roussel publie ici un deuxième recueil d’inspiration beaucoup moins noire, mais dont l’écriture a gardé la même vigueur.

Ce sont des femmes qui sont au centre de ces neuf nouvelles ; femmes jeunes et moins jeunes, presque toutes prisonnières d’un quotidien qui les asphyxie et qui frustre leurs aspirations les plus profondes. L’une est régulièrement soumise aux violences d’un mari brutal qui la roue de coups dans l’indifférence du voisinage ; une autre flatte par obligation professionnelle les fantasmes des habitués du téléphone rose tout en se passionnant pour un jeu télévisé sans cesser d’espérer un autre avenir ; celle-ci est usée par la routine d’un mariage avec un homme qui « ressemble à du carton bouilli » et qu’elle a « dû aimer une heure en dix ans » ; celle-là passe compulsivement d’amant en amant en quête d’un plaisir qui la fuit. Pour toutes, une circonstance infime, ce « grain de sable » qui donne son titre à l’une des nouvelles, et le plus souvent une rencontre, vont faire voler en éclats la morosité des habitudes et ouvrir de nouvelles promesses de liberté. Il suffit de transgresser une règle professionnelle intransigeante, de prendre à bord de sa voiture une auto-stoppeuse atypique, de répondre aux avances d’un inconnu ou d’entrer en conversation avec la figure de M. Propre qui sourit sur une boîte de détergent, et brusquement le poids du destin s’allège et l’avenir prend un autre cours. Beaucoup de ces nouvelles s’achèvent ainsi sur un suspens, un vertige gros de possibles entrevus.

Pour toutes ces femmes, l’amour est une préoccupation essentielle, et il apparaît ici sous des formes très diverses : abandon d’une nuit, qui modifiera peut-être l’existence entière ; amour de jeunesse perdu qui laisse au cœur une blessure inguérissable ; souvenir de l’amour qu’on éprouva jadis pour cet homme devenu aujourd’hui un « hippopotame en colère » et un bourreau ; amour maternel dévorant comme celui d’une ogresse ; aventure saphique avec une voyageuse de rencontre ; amour dont on rêve dans les heures vides pour qu’il donne enfin sens à la vie. Amour toujours incarné, toujours charnel, car l’écrivain explore le désir féminin sans fausse pudeur : « La femme à demi dévêtue, debout dans la chambre de l’hôtel. Son regard, son silence, tombant sur moi, pareil à un manteau de soie. Soie de ses yeux imprégnés de mystère que je saisis enfin et déchire, comme on déchire un voile. Le collier en plastique qui se détache, roule sur les draps. Fragments de corps, son cou nu où palpite une veine, l’arête d’une hanche. D’autres visions naissent, se superposent. La fille de jadis ouvrant les bras à son nouvel époux, grave déjà. »

Nerveuse, mêlant les tours familiers et les mots crus à une langue parfois très littéraire, riche en métaphores, voire lyrique, l’écriture accroche d’emblée, dès le premier paragraphe de la première nouvelle : « IL HURLE A LA MORT, on dirait un animal enragé, on voit ses dents mouillées de salive. Il glapit et les murs se fendent sous la violence du cri. Deux mâchoires géantes et des crocs en tuiles. Sa voix dérape, repart à l’assaut, une note aiguë, bonne à crever un nuage, et ça retombe brutalement dans le rauque, ça s’enfonce, ça n’a plus de fin. Cratère de sa colère. Roule des tonnes de galets, son cri ressemble à du gravier remué. » Des formules frappantes, souvent drôles, toujours expressives, retiennent durablement l’attention du lecteur : « Il existe deux couleurs de rose. La guimauve gnan-gnan des séries américaines (…) ou bien le rose spécial (…) Miss Nitouche ou Mistress Sexe. Rose cucul ou rose cul. »

Ceux qui ont aimé Les hommes sont des petits poucets retrouveront intact au fil de ces récits le talent savoureux de Virginie Jouannet Roussel, qui tient toutes les promesses de son premier recueil.

Sylvie Huguet 
(30/05/08)    



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Editions Les 400 coups
171 pages - 12 €








Virginie Roussel

a reçu en 2000 le Prix Prométhée de la nouvelle pour son premier recueil, Les hommes sont des petits poucets, publié aux éditions du Rocher. Elle a depuis écrit un roman, La chair du péché (Rocher, 2001), et de nombreuses pièces de théâtre, adaptations et fictions radiophoniques.






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