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Annie SAUMONT

Les croissants du dimanche



Le voilà quel bonheur !
Les recueils de nouvelles d’Annie Saumont nous parviennent chaque année, hors toute rentrée littéraire mais avec une régularité certaine et non seulement on ne saurait s'en plaindre mais on se surprend à en guetter la parution avec gourmandise.

Avec Les croissants du dimanche, l'auteur nous offre dix-neuf nouvelles écrites lors d'une résidence à Wellington en Nouvelle-Zélande mais qui ne s'inscrivent pas nécessairement dans cette réalité géographique. Fidèle à son univers, elle y poursuit son inventaire de personnages ordinaires, fragiles, perdus dans l'anonymat du quotidien au moment où leur vie bascule. Elle s'inspire de faits divers, de situations entrevues, de paroles volées, pour mettre en scène des gens simples, comme elle et comme nous, ou des êtres décalés, un peu paumés parfois mais pas toujours innocents. Au cœur de ces histoires, souvent, l'amour ou plus exactement son absence, sa nécessité, sa perte, ce manque qui fabrique des êtres mal-grandis, exacerbe les violences et peut provoquer l'irrémédiable.

En couple avec la misère économique ou morale, très présente dans ces récits, qu'ils se situent ici, au Mexique, en Nouvelle-Zélande où dans une contrée non identifiable, la mort rôde et hante ces histoires noires aux reflets rouge-sang :

Une adolescente de douze ans rêve de venger sa mère devenue boiteuse à la suite d'un acte de malveillance en représailles à ses prises de position contre l'intouchable chasse aux palombes pratiquée dans les Landes. Ce soir-là, un chasseur plus abruti par le rhum qu'à l'affût meurt en haut de la palombière. L'enfant se tient silencieusement à ses côtés.

Ailleurs, un orphelin, élevé sans tendresse par une tante irréprochable aux idées très arrêtées sur l'ordre et la propreté, sombre dans la traque obsessionnelle de la souillure et des microbes et frotte avec obstination jusqu'à effacer toutes traces de vie sur sa victime.

Dans Canicule, l'auteur nous confronte à un étrange rébus dont un parc magnifique, un centre d'enfants trisomiques accompagnés par une douce et belle animatrice, une classe de troisième B encadrée par un jeune professeur intérimaire, une tronçonneuse oubliée et un crime sanglant étalé à la première page du journal, constituent les éléments.

Mais il suffit aussi tout simplement d'une secousse tellurique, de la confrontation brutale de voyous avec des fils à papa en voiture de sport, d'un vol de portefeuille, d'un dérapage dû à l'alcool, d'une vague ou d'un mari jaloux pour que le drame arrive.

Parfois, cependant, derrière la souffrance, la solitude, l'abandon, les frustrations, les ravages de l'alcoolisme, les violences domestiques, qui font de tous ces personnages des victimes fragilisées par la cruauté du monde, pointe la faible lueur d'un bonheur possible. L'espoir tapi dans le regard du jeune garçon qui assure les petits travaux de maintenance au couvent rêvant d'une sœur converse, rose et souriante sous le bonnet des novices, la tendresse de Karine pour le gamin du foyer qu'elle accueille le week-end ou celle de Yolène pour ses « anges » trisomiques, l'amour maternel d'Odile qui s'inquiète pour ses grands petits partis à la ville et celui de Jean pour sa compagne volage.

Noires les nouvelles d'Annie Saumont, certes, très, mais pas désespérées. Ses personnages cabossés, malmenés par la vie et en marge du monde, qui semblent condamnés à l'errance et la dérive, témoignent, malgré tout, d'une fantastique rage de vivre et, à l'occasion, des traits d'humour pleins d'espièglerie viennent inopinément nous arracher un sourire.

Les personnages rencontrés ici nous remuent. On est loin de la démonstration, de la psychanalyse ou du jugement moral. C'est sur les petites choses, les gestes, les objets du quotidien, les silences, qu'Annie Saumont s'appuie, avec une précision implacable, pour révéler l'intime de ses personnages, les drames profondément enfouis qui les minent, les petits bonheurs du jour qui les tiennent vivants. Un ou deux détails suffisent pour les rendre crédibles et terriblement présents tout en leur conservant une part d'ambiguïté qui nous trouble. L'auteur excelle à écrire l'émotion brute, les sentiments violents, l'ennui, la misère, la souffrance, à dire, sans complaisance ni sentimentalisme mais avec respect et tendresse, l'humain, dans sa difficulté à être, à communiquer et à vivre.

Son style, reconnaissable entre tous par sa sobriété, ses petites phrases courtes, ses licences de ponctuation, ses oublis de négation, ce choix d'un langage direct aux apparences d'oralité nourri d'emprunts aux autres langues, d'expressions entendues dans la rue ou dans la bouche des jeunes, ce rythme semblable à une respiration, est en fait le résultat d'une élaboration complexe et d'un travail de précision extrême qui confèrent au texte une musicalité singulière. Son goût pour l'ellipse, son habitude de laisser la fin de ses phrases en suspens, obligent le lecteur à une lecture active, à une appropriation totale du texte, propices à l'empathie et à l'émotion. On est là, au bout du compte, face à une écriture parfaitement maîtrisée, singulière et d'une efficacité remarquable qui atteint son but à coup sûr.

En quelques pages, Annie Saumont parvient à raconter une histoire qui fait sens, à donner à un épisode de l'existence ordinaire une dimension universelle, à rendre compte des peurs qui nous hantent, de l'injustice, de la violence et du malaise de notre société, à briser notre confortable indifférence.

Cette grande dame de la nouvelle, « rebelle, genre espiègle », parvient à explorer inlassablement les mêmes thèmes sans jamais se répéter, à nous surprendre encore, à nous pincer le cœur jusqu'à y laisser son empreinte. Dans son patient travail à nous dire l'humain et l'humanité, Annie Saumont nous offre avec Les croissants du dimanche un recueil fascinant dont les personnages nous accompagnent longtemps une fois le livre refermé. Un bijou rare et ciselé.

Dominique Baillon-Lalande 
(09/06/08)    



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Lectures









Editions Julliard


184 pages - 16 €




Annie Saumont,
traductrice et nouvelliste, est l'auteur d’une vingtaine de recueils qui ont obtenu les prix les plus prestigieux : Goncourt de la nouvelle, Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres, Prix Renaissance de la nouvelle, Prix de l'Académie française...
Ses textes sont traduits dans le monde entier.
Plusieurs de ses recueils ont paru en collection de poche.








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