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Leïla SEBBAR


Leïla Sebbar continue à offrir sa plume aux exclus, aux déshérités. Dans son dernier recueil de nouvelles, L’habit vert, une balayeuse dont la mère est retournée au pays se souvient d’un livre de bibliothèque. Elle dessine des vêtements avec une amie et rêve de devenir styliste. Une jeune fille travaille chez une française au moment où commence la guerre d’Algérie, une femme SDF pense à son enfance, une jeune fille employée de maison va tuer un homme qui voulait abuser d’elle, la guerre et ses exactions en contradiction avec la religion étayent ses nouvelles aux thèmes très forts : « Elle avait été enlevée, comme tant d'autres, par un groupe d'hommes armés et cagoulés. Ils raptaient des filles jeunes, très jeunes, vierges de préférence, pourquoi les hommes préfèrent les vierges ? Elles devenaient les petites mariées des maquis, ils appellent ces unions barbares "mariages de jouissance", une femme, parce qu'elle est une femme, doit vivre l'enfer auprès de ceux qui ont usurpé ce mot qui désigne les combattants de la liberté et de la justice, "Moudjahidin", c'est ainsi qu'ils se nomment. Au nom de Dieu, ils violent les femmes, des musulmanes, qui pourraient être leur mère, leur sœur, leur fille... Ce que le Coran interdit, ils le pratiquent. J'ai lu le Livre Saint en même temps que mes frères, lorsqu'ils revenaient de l'école coranique, ils récitaient les versets et moi je récitais avec eux Chitan, le diable a enfanté ces criminels. Viols collectifs, publics, les femmes enlevées sont esclaves de sexe, de ménage, cuisine et lessive. Ils s'acharnent, l'émir et ses hommes. Louisa, ma pauvre Louisa m'a raconté, et d'autres ont raconté. Elle disait en pleurant : Pourquoi ? Pourquoi ? ». Le vert est un fil conducteur du recueil, peut-être le vert de l’espoir au milieu de ses difficultés à vivre et à être reconnu. La couture, la machine Singer de la grand-mère sous laquelle se cachait une fillette pour tisser ses vies où il faut se battre pour exister, pour vivre femme hors de la soumission des hommes, voilà ce que nous donne à lire Leïla Sebbar dans la continuité de ses fictions et de ses carnets de voyages.

Mes Algéries en France, carnet de voyages autobiographique, est un superbe recueil de textes, de récits, de fictions, d’entretiens, de portraits de famille, de reportages sur les Algériennes, les Arts et les lettres, la passion algérienne. Ce livre avec photos, dessins, papiers froissés d’oranges, aquarelles, BD et cartes postales évoque des lieux de mémoire et donne la parole à de nombreuses personnalités comme Germaine Tillon, Aimée Chouraqui, Josette Audin, Michelle Perrot, Pierre Vidal-Naquet… qui nous parlent de leur Algérie : « Ils ont quitté la maison maternelle, ils ont abandonné à son histoire la maison de la crête aride, de la ville marine, de la ville lettrée et pieuse. Maisons analphabètes où attendent les femmes. Le fils sera-t-il ce fils prodigue ? La mère a sauvé de la destruction la planchette coranique où l'enfant a tracé des lettres qu'elle suit de l'index sans les lire. Les derniers dessins de la langue domestique, elle ne les efface pas mais ils sont fragiles. Tracés à la suie, ils resteront encore, protégés dans l'ombre du vieux coffre ou dans le tiroir profond de l'armoire géante. À la craie, comme sur l'ardoise de l'école française, ils n'auraient pas résisté au premier chiffon. » (Mohammed Dib, le fils de la grande maison).

Le Journal de mes Algéries en France, paru ensuite, témoigne avec beaucoup d’émotions de toutes les rencontres et les échanges qui ont eu lieu au moment de la présentation du livre Mes Algéries en France. Tous ces témoignages donnent la parole aux personnes du peuple qui font l’histoire des pays et des peuples : « Une anecdote intéressante à laquelle fait écho aujourd’hui ce que me raconte une enseignante de français dans un collège de Villeurbanne dans la banlieue lyonnaise. Au Maroc, une institutrice écrit le signe mathématique + au tableau ; "une croix c’est un péché, madame", protestent ses élèves juifs, on est dans les années 30. En France, en 2004, le professeur dessine le signe + pour la mort d’un écrivain ; ses élèves musulmans refusent d’utiliser le sigle dans leurs cahiers. » Des photos, des cartes postales, des calligraphies, des dessins illustrent aussi ce journal.

Dans Isabelle l’Algérien, Leïla Sebbar, au travers de dix nouvelles, nous fait découvrir l’énigmatique Isabelle Eberhardt, femme habillée en homme, présente et fuyante en permanence. Des nouvelles paradoxales et mystérieuses sur cette femme qui parcourt l’Algérie à cheval et vit différentes aventures « Et ce matin-là, devant moi, la fille en habit d'homme, pantalon et veste de drap ou peut-être ce même jour, portait-elle déjà l'habit arabe, culotte longue, gilet et chéchia ?
On aurait pu la prendre pour un garçon avec sa mère, belle et douce, qui parlait le français avec un accent qui chante. Je suis resté là, un moment, je regardais, j'écoutais. Elles sont entrées, je suis revenu à mon travail de petit serviteur du caouadji.
Je les voyais souvent dans le quartier indigène qu'elles ne quittaient plus, la mère et la fille, au marché, dans les ruelles marchandes, elles se promenaient. La fille allait à la mosquée, elle prenait des leçons d'arabe. Au café où elle venait souvent bavarder avec les hommes dans son habit de jeune lettré, elle ne disait pas qu'elle était une femme, on le savait, personne ne protestait, je n'ai pas entendu un client se plaindre de sa présence. On disait aussi qu’elle s’était convertie à l’Islam. J’ai su que c’était vrai lorsque je suis allé vivre chez elles, les Russes de la maison que je ne connaissais pas. 
».
De magnifiques dessins de Sébastien Pignon accompagnent les nouvelles.

Tous les textes de Leïla Sebbar nous présentent l’Algérie dans ses multiples facettes, dans ses passions et ses contradictions. De belles découvertes et de passionnants voyages au fil des pages et des mots.

Brigitte Aubonnet 
(26/11/06)    



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Lectures









L’habit vert
Editions Thierry Magnier
86 pages, 13€

www.editions-thierry-magnier.com






Mes Algéries en France
Editions Bleu autour
238 pages, 28€

www.bleu-autour.com






Journal de
mes Algéries en France

Editions Bleu autour
162 pages, 20€

www.bleu-autour.com






Isabelle l’Algérien
Editions Al Manar
84 pages, 18€

http://editmanar.free.fr





Pour visiter le site de Leïla Sebbar :
http://clicnet.swarthmore.
edu/leila_sebbar/