Frank TALLIS


La justice de l'inconscient



Avec cette Justice de l’inconscient, les éditions 10/18 inaugurent une nouvelle série de la collection « Grands Détectives ». L’action se situe à Vienne, au début du vingtième siècle ; le héros, Max Liebermann, est un jeune psychiatre adepte de la méthode freudienne, que son ami l’inspecteur Oskar Rheinhardt associe souvent à ses enquêtes. Lorsque le récit commence, un crime énigmatique vient évidemment d’être commis : on a retrouvé le corps d’une jeune médium dans une chambre fermée de l’intérieur, et quoiqu’elle ait été tuée d’une balle en plein cœur, le projectile reste introuvable, puisqu’il n’est pas présent dans la blessure et n’en est pas non plus ressorti. Tous les membres du cercle spirite de la jeune femme se révèlent suspects, sans qu’aucun puisse être inculpé au vu d’une preuve indiscutable. Quant au modus operandi, il reste totalement incompréhensible. Suivront un autre assassinat, et diverses révélations qui feront progresser l’enquête sans que le lecteur soit jamais en état de résoudre le mystère. Le dénouement, qui intervient dans le cadre spectaculaire d’une attraction foraine impressionnante, est un moment particulièrement dramatique qui tient en haleine jusqu’à la fin.

Outre la qualité de l’intrigue policière, remarquablement menée mais somme toute assez classique, on apprécie dans ce roman la peinture d’une ville au sommet de son éclat, théâtre d’une vie culturelle éblouissante que travaillent aussi des ferments idéologiques complexes : ici, on rencontre dans les cafés le professeur Freud, qui se délecte malicieusement en racontant des histoires juives, et les concerts sont dirigés par Gustav Mahler en personne. On perçoit aussi les courants politiques qui agitent l’Empire, avec leur composante pangermaniste et antisémite. Surtout, on assiste aux débuts discutés de la psychanalyse, que beaucoup considèrent encore comme une théorie scandaleuse et obscène. Malgré l’opposition de son supérieur hiérarchique, qui s’obstine à voir dans l’hystérie une faiblesse physiologique des nerfs relevant d’une électrothérapie traumatisante, Liebermann traite par l’hypnose, avec succès, une jeune patiente souffrant d’une paralysie du bras droit. Lui-même docteur en psychologie, Frank Tallis aborde la question avec une compétence sans faille. Rêves, lapsus, actes manqués, rien n’échappe à l’attention de Liebermann, qui, en appliquant sa méthode à l’enquête en cours, fait souvent l’admiration de son ami.

D’ailleurs l’amitié chaleureuse et complice des deux héros, que rapproche encore leur passion commune pour la musique, la vie conjugale paisible de Rheinhardt, les sentiments complexes de Liebermann, partagé entre sa tendresse pour sa fiancée Clara et son attirance grandissante pour sa patiente Amelia Lydgate, le relief des figures secondaires, comme celle de ce médecin légiste qui adresse respectueusement la parole à ses cadavres, tout concourt à donner aux personnages une réelle épaisseur humaine qui leur attache très vite la sympathie du lecteur. S’ajoute à cela un humour qui transparaît par exemple dans cette description de l’extravagante Cosima von Rath : « Elle portait un chapeau inspiré par la coiffure de quelque déesse égyptienne, et une robe bleue lâche, ondoyante, dont le tissu scintillait au moindre mouvement.(… ) Son cou était dissimulé par plusieurs plis de chair rose bouffie qui pendaient d’un menton fuyant, et ses yeux ressemblaient à des raisins fourrés dans du massepain. L’effet tenait de l’hallucination. On aurait dit un cochon primé à un concours agricole et attifé pour quelque obscure fête de village. »

La Justice de l’inconscient se révèle donc un roman aux séductions multiples, dont les héros ont tout pour s’imposer à notre imagination comme Holmes et Watson à celle de tant de lecteurs. De telles qualités laissent bien augurer des futures enquêtes de Rheinhardt et Liebermann.

Sylvie Huguet 
(05/08/07)    



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Noir & polar







Editions 10/18
"Grands détectives"
442 pages - 8,50 €

Traduit de l'anglais
par
Michèle Valencia


www.10-18.fr






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