Habib TENGOUR

Le maître de l'heure



Une enfance marquée par des « diseurs habiles » passés maîtres dans « l’art de tenir en haleine » leur auditoire… C’est l’oralité qu’évoque Habib Tengour en préambule de son dernier roman Le maître de l’heure. Et le lecteur tombe lui aussi immédiatement sous le charme de la voix de Zerrouqi, son jeune narrateur.

Son père l’a investi de la dure mission de se rendre à Alger depuis son lointain Dahra pour y aller chercher la tête de son frère Habshi, décapité par les Turcs. Il répugne à s’exécuter, arguant qu’il ne sait même pas où se trouve cet « Alger égorgeur ». Obéir à son père implique qu’il laisse la belle Zoulikha dont il est épris et avec qui il est impatient de convoler en de justes noces. Seul son père spirituel, Père Mbarek parviendra à le ramener à la raison, celle du devoir. Zerrouqi se met alors en chemin sur ce qui est un itinéraire à multiples et passionnantes entrées.

Sommes-nous dans un conte ou une hagiographie ? S’agit-il d’un récit picaresque ou encore d’un Bildungsroman ? Ce sont des fils qui se tressent ici délicieusement, comme l’annoncent les citations qui figurent en incipit : Ibn ‘Arabi côtoie Lautréamont et Chklovski. Les légendes se croisent avec des vers en arabe classique. L’œuf du serpent donné en nourriture à une belle et tragique héroïne n’est pas loin de la page où sont citées les paroles de l’Imam Ali. Zerrouqi prêt à rejoindre Alger en « sept enjambées », comme s’il avait chaussé des bottes de sept lieues, interpelle le pâtre qui s’est moqué de lui, en lui disant qu’il n’est « pas même fichu d’écobuer convenablement ». Confronté ensuite à un vagabond qui se prétend Espagnol et est en réalité un Andalou en débâcle après la Reconquista, Zerrouqi découvre qu’il peut même accomplir encore d’autres prodiges en faisant jaillir l’eau du sol avec le bâton confié par Père Mbarek : « Tu vois, Espagnol à la manque, tu ne dis plus rien maintenant, où est ton éloquence ? »

Passé et présent se mêlent ici dans une traversée qui résonne d’échos surgis du monde d’aujourd’hui et de celui d’hier. L’Inquisition y devient contemporaine des ficus du jardin public. « C’est Alger qui resplendit, là-bas. Blanche comme un drap tendu. La ville lui tire la langue. Elle lui fait un pied de nez. » Ce roman se moque du temps pour devenir « le maître de l’heure » et réjouir le lecteur du parcours insolite et désopilant de Zerrouqi. Il plonge dans la cité pour d’autres aventures et démêlés avec le barbier, l’épicier, le rebouteux, le cordonnier, l’écrivain public et le pâtissier. Une truculence rabelaisienne joue ici avec le réalisme magique pour l’enchantement du lecteur qui verra Zerrouqi revenir finalement chez lui, sa mission accomplie.

C’est un univers multiforme et foisonnant qui se déploie dans ce livre. On y respire à pleins poumons la jubilation d’une écriture qui marie le chatoiement des couleurs et des époques, la richesse d’un héritage littéraire savant et populaire et les accents les plus contemporains.

Cécile Oumhani 
(23/04/08)    

Cet article est aussi publié dans le quotidien tunisien La Presse


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Editions de la Différence
200 pages - 15 €




Habib Tengour
est né à Mostaganem
en 1947.
Poète, écrivain et anthropologue, il a constamment vécu entre
la France et l’Algérie.
Il a publié une vingtaine
de livres.


Une fiche le concernant est disponible sur wikipédia.