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Bernard THOMASSON

Ma petite Française


Ellen vit aux Etats-Unis avec Sam. Pour les vingt ans de la chute du mur, en tant que professeur d'histoire, elle est invitée à Berlin. Un océan va la séparer de Sam à qui elle peut penser alors comme à un pays clos qui ne laisse pas prise aux agressions extérieures en ne dévoilant jamais ses pensées intimes "dans l'espoir de laisser croire que la vie est facile…"
Sam ressemble au Berlin schizophrène qu'Ellen a découvert trente ans plus tôt et qu'elle porte toujours en elle, quand jeune Française, elle s'appelait encore Hélène et ne savait pas quelles orientations prendrait sa vie.

Par le biais d'allers et retours dans le présent et le passé de la ville, par le biais de ce voyage initiatique qu'Hélène a vécu dans le Berlin des années 70, par le biais des personnages rencontrés qui tour à tour deviennent narrateurs et guides, chacun symbolisant un morceau du passé tragique de Berlin, de son enfermement, de sa déchirure, on découvre, redécouvre la ville où vivaient deux étranges tribus séparées par un mur : les Wessis et les Ossis qui, comme à Lilliput, ne mangent peut-être toujours pas leurs œufs par le même bout.

Si on rêve toujours d'Italie, embrasser Berlin peut sembler rébarbatif et pourtant Bernard Thomasson nous prouve que plonger dans Berlin ressemble à un fascinant voyage dans l'inconscient collectif du vingtième siècle ! On a tous en nous quelque chose de Berlin !

En faisant déambuler Hélène, puis Ellen, à deux époques différentes, dans le Berlin d'avant le mur et dans celui d'après, on a un panorama complet de la ville qui est, évidemment, le personnage principal du livre, la quintessence de tous les personnages que va rencontrer "la petite Française" et qui vont lui servir de guides. A tour de rôle, les personnages racontent comment ils se sont promenés avec Hélène et comment, par des faits historiques ou des anecdotes, ils lui ont livré, en même temps que leur vision de la ville, leur histoire, petit bout de l'Histoire de Berlin. Un narrateur, sorte de reporter en voix off, intervient de temps en temps, pour donner des informations supplémentaires.

Alors que la traversée du mur, à Checkpoint Charlie, ressemblait pour les touristes à un étrange rite relevant de la magie noire : il suffisait de traverser un mur pour plonger dans une autre époque, celle des années 50, et retrouver dans le grand magasin désuet, près d'Alexanderplatz, les objets et les jouets d'une vie révolue. Il suffisait de montrer, un peu anxieux tout de même, son passeport, pour, étourdis par la foule après les grandes artères vides de l'Ouest, ville à la campagne où les voitures silencieuses semblaient glisser respectueuses des piétons et des vélos, et ahuris par le crachotement des trabis, il suffisait de vivre à l'Ouest pour oublier, en découvrant les fastes du musée Pergame ou dans la collection d'antiquités égyptiennes, le sourire de Nefertiti, la paranoïa des vopos qui surveillaient la bonne marche de cette immense cloche de verre d'où certains ne pouvaient jamais sortir. Hélène n'a pas eu de chance. Planant sur Kraftwerk avec ses premières amours, son escapade à l'Est commence effectivement comme un jeu mais vire au cauchemar… " L'étape berlinoise fut le socle fondateur de sa vie d'adulte."
Hélène va tout découvrir à Berlin et même y laisser sa première peau pour s'envoler aux Amériques, de l'autre côté. "Une barrière invisible se dressait autour de moi, m'enfermant dans une solitude étouffante."

Cette histoire ne dure que le temps d'un retour, que le temps des festivités autour de la chute du mur. Mais le passé d'Hélène et celui de Berlin ressurgissent comme ressurgit, avec ces lettres gothiques, appréciées du troisième Reich, et aperçues en un éclair dans cette station fantomatique juste éclairée par la lumière du métro filant sans s'arrêter, la station étant à l'Est, l'horreur nazie.
Ce passé ressurgit aussi pour David, jeune journaliste que rencontre Ellen dans l'avion, et qui enquête par ailleurs sur ce que ses grands-parents juifs ont subi dans cette même ville. Ellen n'a pas seulement rendez-vous avec l'Histoire de Berlin mais aussi avec l'Hélène qu'elle a été et les témoins du drame qu'elle a vécu autrefois dans cette ville, comme elle, coupée en deux.
Alors le lien se fait entre le passé et le présent : les fils tirés par chacun des personnages s'entrecroisent pour tisser une fiction-radiographie de Berlin dans le siècle des totalitarismes.

"C'est fou comme une ville peut en devenir une autre…
Aujourd'hui, à l'encontre de certaines idées reçues, la réunification n'a pas réunifié, au sens propre du terme les deux anciennes zones. Non, c'est un Berlin nouveau qui est né depuis 1989. Une troisième ville qui ne ressemble en rien aux deux précédentes. Ni même à celle d'avant la guerre, avant la déchirure, avant la saignée nazie. Certes, le Berlin qui entre dans le troisième millénaire refuse d'oublier son passé…. Néanmoins le Berlin du XXIe siècle est en train de s'ériger dans l'uniformité des grandes métropoles modernes."

Sylvie Lansade 
(03/10/11)    



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Editions du seuil

272 pages - 18 €







Bernard Thomasson,
rédacteur en chef adjoint à France Info, est aussi l'auteur d'un livre sur le journalisme, Je voulais vous donner des nouvelles (Odile Jacob, 2009).
Ma petite Française est son premier roman.