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Lyonel TROUILLOT

La belle amour humaine


Anaïse revient sur les traces de son père qui est mort quand elle avait trois ans. Elle ne sait rien de son histoire. Enfant et adolescent il a vécu à Anse-à-Fôleur un village haïtien où le grand-père d'Anaïse, homme d'affaires, et un ami de son grand-père, colonel à la retraite, sont morts tous les deux dans l'incendie des deux maisons jumelles qu'ils avaient fait construire ensemble. Personne n'a rien vu de l'incendie. Personne ne sait ce qui s'est passé. Un enquêteur de la ville est venu pour élucider l'affaire et découvre l'emprise du village et de ses habitants qui donnent une réelle valeur à leur façon de vivre. Il était envoyé par l'Etat qui avait besoin de trouver un coupable.

Des années après, Anaïse qui est adulte voudrait en savoir plus. Thomas, son guide, est venu la chercher à l'aéroport et la conduit jusqu'au village. Le trajet est long et il lui parle des bruits de la ville, de ce qu'est une ville, de l'attitude des gens de la ville et des touristes, de la vie à Anse-à-Fôleur, des habitants du village, de ce qui s'est passé, du pourquoi elle vient et de ce qu'elle risque de ne pas trouver, de la personnalité des deux amis que tous les villageois détestaient. Ils venaient de la ville et n'avaient que du mépris à offrir.
Peu à peu nous apprenons ce qui s'est passé.

De très beaux passages sur les bruits, beaucoup d'humour et de critiques des touristes et de leur bêtise : "Ça va […] des parents qui pratiquent le culte de l'enfant-dieu autorisant chaque nouveau-né à se prendre pour un pharaon que rien ni personne ne devra contrarier jusqu'à ce qu'un jour il pète les plombs, s'achète une arme automatique et tire sur ses parents, un prof ou des copains de classe au couple infanticide qui enterre sa progéniture dans son jardin ou la conserve dans un frigo."

Des réflexions très sensées sur la vie. "Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?" Cette question est le fil conducteur du roman qui se déroule pour sa plus grande partie pendant le voyage en taxi. Le but du voyage est-il vraiment une fin en soi ? Les humains réalisent-ils tous vraiment que le chemin pour aboutir à la fin de leur passage sur terre est l'essentiel de la vie ? A Anse-à-Fôleur on sait aussi affronter la mort : "Enfant, j'accompagnais parfois mon oncle quand il allait livrer une commande à la résidence d'un banquier ou d'un haut fonctionnaire. Bruissements et murmures, comme si l'idée était de rendre le mourant encore plus triste qu'il ne l'était déjà à l'idée de sa disparition prochaine. Aucun sens de la fête. Dans le lieudit d'Anse-à-Fôleur, quand la mort menace un adulte, on lui fait des blagues et on lui chante des chansons gaies, et il rit sans forcer. Et, homme ou femme, on lui offre la possibilité de faire l'amour avec une personne qu'il désirait depuis longtemps. C'est une loi que Justin a inscrite dans son code sous la rubrique "Cadeau de départ", le rire et le plaisir sexuel constituant peut-être les seuls états de grâce réservés aux humains."

La quête des origines, le rapport à la terre poursuit Lyonel Trouillot qui en avait déjà parlé autrement dans son précédent roman Yanvalou pour Charlie. Il poursuit la dénonciation des injustices, de la pauvreté, de la bêtise humaine et valorise les relations humaines chargées de bon sens, de respect, de fraternité, de solidarité...
Un très beau roman dont la construction en spirale et retours en arrière nous mène vers ce que nous ne devrions jamais oublier, donner un sens à sa vie.

Brigitte Aubonnet 
(05/09/11)    



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Lectures










Éditions Actes Sud

(Août 2011)
176 pages - 17 €

Babel
(Août 2013)
176 pages – 6,70 €


Portrait © Marc Melki
Lyonel Trouillot,
né en 1956, romancier et poète, auteur d'une quinzaine de livres, est un intellectuel haïtien engagé.



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