Y. B.

Commissaire Krim



Zayneb Bouslimane, jeune fille voilée de la cité, est retrouvée morte, la tête en bouillie.
« – Vous avez une idée de l'heure du décès ? (...)
– Compte tenu de la température du corps, je dirais qu'elle est morte trop jeune.
– Amusant. Donnez-moi l'heure, je rirai après.
– Vous avez une montre, que je sache ?
– Encore plus amusant. Je compte jusqu'à trois, Rognard(...) Si vous ne me donnez pas l'heure du décès, je vous donne l'heure du votre, menaça Krim froidement, l’œil sur sa montre, la main sur la crosse de son Beretta. 
»

Le commissaire Krim est chargé de l’enquête. Les rapports de ce musulman non pratiquant avec l'Algérie se bornent à la dénégation chaque fois qu'on essaye de lui rappeler ses origines : « Je ne suis PAS musulman! Combien de fois devrai-je répéter que ce n’est pas un truc qu’on chope par sa mère à la naissance, comme le judaïsme ou une maladie génétique ! Il faut se convertir. Et je n’ai fait ni mon baptême, ni ma première communion, encore moins ma confirmation ! Jésus est mort sur la croix, Mahomet dans son lit. Je ne juge pas, tous les goûts sont dans la nature. Si l’inverse s’était produit, les cathos se trimballeraient un matelas en pendentif et les minarets seraient cruciformes… N’étant pas sadomaso, je ne veux pas avoir à choisir entre trois religions dont la première est juive et les deux autres antisémites ! »

Krim et son équipe composée du lieutenant Jambon et de l’inspectrice Cohen se penchent donc sur la vie de la jeune-fille, ses proches, observent le quotidien de la cité avec ses islamistes barbus et la jeune racaille désoeuvrée, pour découvrir mobile et auteur du meurtre. Les suspects sont nombreux, tous plus loufoques les uns que les autres, à commencer par le père de la victime, sosie d’Oussama Ben Laden. « Jambon avait demandé aux Renseignements Généraux les fiches de tous les habitants du quartier qui rêvaient de prendre les commandes d'un Airbus afin de raser leur tour HLM pour emménager au plus vite dans une zone pavillonnaire au paradis des martyrs. Manque de bol, l'heure du meurtre coïncidait avec celle de la prière du soir, où il est prié de prier pas de lapider. L'alibi était en béton. Les islamistes les plus radicaux figuraient sur les films des cinéphiles des RG, planqués dans un appartement faisant face à la mosquée-cave. (...) Au téléobjectif ils shootaient l'entrée du lieu de culte de jour, de nuit, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'un champignon nucléaire s'épanouisse au-dessus de Paris. »

L'hypothèse de la lapidation islamiste rejetée reste la piste du petit copain. L'interrogatoire est serré.
« – Tuer n'est pas exister, moralisa Jambon. Au contraire, c'est tuer la part de vie en soi. Le pire c'est quand on se trompe de cible. Le type qui a tué John Lennon, par exemple, il y a plus de vingt-cinq piges qu'il est rongé par le remords de l'avoir confondu avec Elton John !
– Il a quand même eu la une de la presse mondiale, publié une autobiographie, touché le pactole pour une adaptation au ciné, et il se fait violer trois fois par semaine dans les douches de sa prison par les beatlesmaniaques ! C'est pas une vie de star, ça ?
– Garde espoir, tes rêves sont à portée de main...
Steve quitta brusquement sa chaise.
– Quoi ? Vous me considérez vraiment comme coupable ?
– Si on ne trouve pas le bon, tu joueras les doublures.
Steve se rassit en réprimant un sanglot. 
»

Dans la déposition fantaisiste et brouillonne du petit branleur trop paumé pour être le meurtrier, Krim relève son appartenance à un groupuscule néo-fasciste local. Pour explorer la thèse du crime raciste une petite visite de courtoisie est alors organisée. Dans leur cave qui sert de local à leurs réunions, «  La déco des lieux tenait lieu de programme : un immense drapeau frappé d'une croix gammée recouvrait un mur, sur celui d'en face, un étonnant triptyque Hitler/Ben Laden/Mac Cartney », les nazillons d'opérette surpris en plein conciliabule s'avèrent assez agressifs et fondus pour répondre au casting. Pas de chance, à l'heure du crime, tous étaient devant la TV chez leurs parents pour regarder un documentaire sur les waffen SS diffusé sur Arte... Mauvaise donne et retour à la case départ.

Krim en pleine crise conjugale déprime, l'enquête patauge et sa hiérarchie commence à exprimer quelques impatiences. C'est la science qui va heureusement venir à son secours. L'institut médico-légal a relevé sur le visage en galette du cadavre des traces d'urine et l'analyse ADN de celle-ci révèle l'appartenance du coupable à la famille même de la victime. Crime d'honneur ou pas , la piste semble cette fois indiscutable et le piège prêt à se refermer sur le coupable. Encore – le père et le frère étant mis hors de cause par les 50 % divergeant dans l'analyse génétique – faudrait-il identifier et retrouver ce Bouslimane inconnu...

Y.B. bâtit son récit sur la provocation, le politiquement non-correct et la caricature au vitriol. Ses personnages, beaufs ordinaires machos et racistes, arabes versants dans l'intégrisme religieux de pacotille ou niant leurs origines pour s’intégrer à tout prix à la société française, jeunes de banlieue paumés abandonnés à eux-mêmes, enrôlés dans l'armée ou proies d'extrémismes mal digérés, nazisme ou islamisme, sont univoques et sans épaisseur psychologique. Frères des marionnettes des guignols de l'info, ils ne sont là que pour incarner des situations, un contexte social, un bric-à-brac identitaire, une société ultra-libérale qui rejette ses minorités et maltraite les siens.

Dans ce roman insolent et grinçant qui alterne le « non-sense » à l’anglaise, la parodie des séries télévisées et la critique d'une France contemporaine sur fond de sarkozisme galopant, l'auteur flirte de façon jubilatoire avec les classiques. Il y a chez lui du San Antonio, des Marx Brothers ou du Michel Audiard. Le rythme est rapide, les dialogues vifs et travaillés usent, abusent, de formules chocs, de jeux de mots et de calembours, l'histoire s'appuie sur le comique de situation et les quiproquos pour embarquer le lecteur dans une enquête qui n'est en fait qu'un prétexte pour tourner en dérision les images préfabriquées, les a priori qui nous aveuglent et dénoncer cette société qui bascule dans l'absurdité (l'obscurantisme ?) la plus totale.

L'auteur nous offre ici un polar satirique complètement déjanté, une farce habile non exempte de réflexion, une comédie écrite pour faire rire... du pire avant d'en souffrir.
Avec son Commissaire Krim, baroque, vif, décalé, provocateur et divertissant à souhait, Y.B. confirme son savoir-faire et son originalité.

Dominique Baillon-Lalande 
(20/11/08)    



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Editions Grasset
230 pages - 17,90 €








Photo @ Grasset / Olivier Roller
Yassir Benmiloud,
né à alger en 1968,
installé à Paris depuis 1998,
a été journaliste en Algérie puis au Nouvel Observateur en France. Auteur d'un triptyque algérois (Comme il lui a dit, L'explication, Zéro mort), son Allah superstar a fait grand bruit en France en 2003.