Cathy YTAK

L'ombre d'Adrien


Depuis leur naissance, pour les vacances, Jérémie, Adrien, Samia et les autres se retrouvent au camping des Hortensias avec leurs parents. Cette année-là, alors qu'ils marchent sur un sentier abrupt le long d’une falaise, Adrien bascule dans le vide. Jérémie n'était qu'à quelques mètres de lui quand la chute s'est produite. Le témoin, choqué, victime d’une amnésie sur les dernières minutes précédant le drame, ne se souvient rien. « Jérémie doit admettre qu'il ne connaissait pas grand-chose de la vie d'Adrien, en dehors de leurs étés. Il ne se souvient même pas de leur première rencontre, il était trop petit. Les garçons avaient deux ans d'écart [...] Adrien avait eu un vélo bleu et Jérémie un rouge. [...] Il n'a donc gardé de son copain que des souvenirs idiots ? »

De retour au camping, après un bref séjour à l'hôpital, rongé par un sentiment de culpabilité et d'incompréhension, il s'isole et ne parvient pas, malgré l'affection de ses parents, à reprendre une vie normale. Obsédé par ce drame vécu en direct, il se sauve. « Savoir que l'enquête concluait à l'accident n'a pas mis un terme à ses doutes, pas plus qu'à ses questions. [...] Il y a forcément un responsable, il y a forcément une raison. »

Mais la distance ne suffit pas à éloigner les fantômes et il lui faudra mener une enquête rétrospective sur la vie de son ami, suivre ses traces, rencontrer ses proches, visiter les lieux qui lui étaient familiers pour découvrir la vérité de cette disparition brutale qui l'a assommé. « Adrien, c'était un copain de grandes vacances. On les a toutes passées ensemble, depuis tout bébés. C'est tout. C'était le lien, les vacances. Maintenant le lien, c'est sa mort. Ça a tout envahi. On m'a même soupçonné de l'avoir poussé... Alors je veux savoir. Pas pour les autres, pour moi. » Comprendre, pour pouvoir déposer son fardeau et reprendre le fil de sa vie d'étudiant de dix-neuf ans. « Merde ! C'est dégueulasse que la vie ne garde rien de ceux qu'on a aimés, ou juste une photo floue où l'on devine à peine le visage d'un enfant. » « Dix-sept étés pour Adrien. Pas un de plus. Le manque, c'est ça : une somme de souvenirs dont on sait que la liste, désormais, ne s'allongera plus. »

« Adrien n'a laissé de lui que son souvenir, tributaire d'une mémoire défaillante. Dans la mémoire de Jérémie, en effet, il manque des phrases, des choses dites qu'il n'a pas entendues ou pas écoutées. » Derrière le copain de jeux et de drague, léger et fanfaron, Jérémie découvrira un jeune homme mal dans sa peau et suicidaire qu’il ne soupçonnait même pas. Parfois, par honte ou par déni, on peut être amené à s'inventer un personnage, à donner le change, comme s’il suffisait de paraître pour être.
Mais au détour de sa quête et de ses pérégrinations, des rencontres – Ilian, le "presque" grand frère d'Adrien, slameur « libanais, musulman non pratiquant », son amie Sarah « une copine qui vend du slam et fait des fleurs. Enfin, l'inverse ! », etc. – s'avéreront essentielles et l'accompagneront dans ce passage difficile à l'âge adulte.

Cette histoire aborde le thème difficile du suicide des adolescents, phénomène trop fréquent sur lequel les statisticiens nous alertent régulièrement, mais ce sont les réactions et les sentiments de l’entourage proche, notamment des copains du même âge ainsi brutalement remis en cause, qui intéressent vraiment l'écrivain.
Il lui aurait été facile, sur un tel sujet, de faire verser des larmes, de provoquer la révolte ou de se laisser aller à la morale ou la pédagogie. Rien de tout cela ici. Cathy Ytak aborde le sujet par ses contours, s'attachant plus, finalement, à la progression initiatique de Jérémie, à son chemin de vie, ponctué de joies, de peines, d’interrogations et d’insouciance, qu’au geste définitif d'Adrien et à ses causes dont nous ne saurons au final que peu de chose. L'auteur a visiblement pris le parti de l'accompagnement des vivants.

D'une écriture simple, efficace et alerte, elle parvient à nous impliquer dans les recherches et le cheminement de Jérémie, à nous faire ressentir ses doutes, ses angoisses, ses colères. Jouant de l'alternance des séquences graves, empreintes de souffrance, avec d’autres plus banalement ancrées dans un quotidien quasi-dérisoire, elle accompagne pudiquement et sensiblement son personnage sur la voie de l'acceptation et, à travers les autres, de la découverte de lui-même. L'usage, sans abus, du slam dans des chapitres courts et rythmés rend cette lecture vive et facile sans jamais tomber dans une caricature racoleuse du langage jeune et ajoute une touche d'étrangeté qui ne manque pas de charme.
«  parti trop tôt, connu trop tard
c'était mon frère et la mort a sorti son couteau
je ne répondrai pas aux questions empressées
les mères ont besoin d'être protégées... 
»

Ce roman destiné par son éditeur à un public d’adolescents a tout pour être proche et toucher les jeunes mais ne laissera pas insensibles les adultes qui, comme moi, sauront se laisser séduire par sa justesse et sa maîtrise.

Dominique Baillon-Lalande 
(29/10/07)    



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Jeunesse




Cathy Ytak
L'ombre d'Adrien


Editions Syros
Coll. Les uns les autres 164 pages - 10 €

Pour ados/adultes


www.syros.fr




Photo © E. B. Coulaud

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www.cathy-ytak.net




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