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Texte : Cathy YTAK
Photos : Gérard RONDEAU


Il se peut qu'on sévade



Peter Skøresen, jeune homme brun aux yeux bleus de vingt-trois ans, un mètre soixante-dix-sept, a passé son enfance au Danemark, avec sa famille, dans un petit port de pêche, avant de venir en France. C'était un enfant surdoué, à la mémoire hors du commun, qui ignorait joie comme tristesse… avant d'entrer dans un musée. Là, à 9 ans, "devant un tableau d'un peintre florentin" il a ressenti pour la première fois l'envie de rire et de pleurer en même temps. Le début d'une passion qui emplira toute sa vie.

Devenu un adulte fragile, en marge et solitaire, il décroche un emploi de gardien de nuit dans un musée qui correspond parfaitement à ses désirs. De quoi admirer en paix les œuvres exposées sans être dérangé par la circulation du public, dialoguer avec elles, se les approprier intimement. "C'était mon propre musée, avec mes propres règles. Je ne faisais rien de mal, parce qu'il n'y a pas de mal à caresser les jambes d'une statue, la nuit, vers quatre heures du matin, en été, quand le jour se lève et qu'on termine sa nuit de travail." Ses connaissances sur "ses" œuvres, doublées d'une incapacité à les analyser, impressionnent et intriguent ses supérieurs mais, devant une non-sociabilité et une étrangeté aussi prononcées, ils l'abandonnent vite à sa solitude.

Un jour, pour cause de rénovation des salles, l'emploi du temps du gardien change et il doit travailler de jour. Un grand chamboulement pour celui que les tableaux en partie décrochés ou emballés, la circulation des ouvriers, le bruit des travaux, agressent et perturbent. Il perd ses repères, s'affole tandis que des événements étranges surviennent au musée... Notre homme se trouve donc convoqué dans le bureau du directeur pour un interrogatoire, confronté aux clichés photographiques des délits. "Je crois que j'ai fait des choses que je n'aurais pas dû, mais je ne me rappelle pas quoi. Des choses graves qui peuvent mener en prison, en tout cas. Un officier de police est même venu au musée me poser des questions." L'homme, dans sa différence et ses accès de violence possibles, inquiète et, par sécurité, on est allé chercher un psychologue en renfort. Face à ces hommes en noir et à cette femme en blouse blanche, Peter, tout d'abord sûr de son intelligence, ballade son auditoire, résiste, puis perd pied et s'agite, pour finalement lâcher prise avec soulagement et passer aux aveux... "Je ne regrette pas un seul de mes gestes de ces nuits-là parce qu'à ce moment-là précisément, j'avais l'impression d'être enfin un être humain et d'exister, comme tout le monde."

Suivant le principe de photo-roman de cette collection, une série de photographies de Gérard Rondeau a été confiée à Cathy Ytak pour y ajouter ses mots, créer une histoire qui donne du sens à cette sélection.
Et à partir des quinze photos prises dans un musée en travaux, dans cette petite centaine de pages de Il se peut qu'on s'évade (très beau titre tiré du Condamné à mort de Jean Genet) l'écrivain construit une vraie-fausse enquête policière. Les photos, sortes de pièces à conviction, serviront de support aux questions posées au suspect qui, tout à sa fascination pour les œuvres mises en cause, ne niera rien, n'expliquera rien, donnera un cours d'histoire de l'art, jusqu'à ce qu'acculé il profite de la fenêtre qu'ouvrent en lui ces images pour s'évader... "Je viens de découvrir quelque chose d'incroyable. Une photo, une simple photo de statue dans la salle de musée a provoqué en moi le même vertige que la statue réelle." "J'ai toujours eu un musée imaginaire caché sous mes paupières. Insaisissable. Je l'emmène avec moi."

Le choix de la première personne comme narrateur ajoute au suspens puisque le lecteur, découvrant l'affaire par les pensées du personnage principal, ignore, comme lui, les griefs ou exactions qui pourraient lui être reprochés. C'est avec une grande sensibilité et une finesse psychologique que Cathy Ytak donne vie à travers cette histoire à un être dont la pathologie paraît s'apparenter à de l'autisme conjugué au syndrome de Stendhal (ivresse de l'art), à sa douleur à être au monde, au fossé qui le sépare des autres, à sa violence interne. Et on se retrouve finalement en empathie avec ce personnage fictif, partageant son intimité et son angoisse, nous-mêmes fragilisés mais séduits par l'étrangeté de cet individu à la sensibilité à fleur de peau.

Ce récit constitue aussi une visite de musée originale, avec un regard personnel et documenté porté sur les quelques œuvres d'art pivots du récit, enrichie d'une réflexion plus générale sur l'image et l'art.
Loin d'être une simple juxtaposition des deux supports artistiques, c'est à un vrai dialogue sensuel et intense entre les mots et les photos que le lecteur est ici convoqué.
Un livre original et riche qui embarque son lecteur dans un voyage dans le monde de l'art et de la folie avec émotion. Une vraie réussite!
(À partir de quinze ans et pour tous les plus grands bien sûr)

Dominique Baillon-Lalande 
(25/12/2011)    



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Jeunesse










Thierry Magnier

Photoroman
108 pages - 9 €










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de Cathy Ytak







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