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Carlos RUIZ ZAFÓN


Le jeu de l'ange



A bien des égards, Le jeu de l'ange prolonge L’Ombre du vent, même si l’action en est antérieure, puisqu’elle commence en 1917. On y retrouve en effet la cité de Barcelone, le Cimetière des livres oubliés, la librairie Sempere & fils, ainsi qu’une intrigue qui doit beaucoup à la tradition gothique, dans la lignée d’Ann Radcliffe et de Bram Stocker. Comme le livre précédent, Le Jeu de l’ange est un hommage aux grands romans populaires du dix-neuvième siècle ; ce n’est pas un hasard si son héros, David Martin, est lui-même un feuilletoniste auteur des Mystères de Barcelone, qui n’ont rien à envier aux Mystères de Paris.

David, exploité par des éditeurs peu scrupuleux qui le rémunèrent misérablement, est bientôt contacté par le mystérieux Andreas Corelli, qui lui propose d’écrire une histoire « pour laquelle les hommes seraient capables de vivre et de mourir, pour laquelle ils seraient capables de tuer et de se laisser tuer, de se sacrifier et de se damner, de donner leur âme », histoire qui deviendrait le livre sacré d’une religion nouvelle, parce qu’elle « transcenderait la fiction et se transformerait en vérité révélée. » En échange, il lui propose non seulement une fortune, mais aussi de lui donner ce qu’il désire le plus. Après avoir longuement hésité, David accepte. Dès lors, tous les êtres qu’il approche meurent victimes d’assassinats dont il devient le premier suspect. Sa vie commence alors à ressembler à l’intrigue des romans qu’il inventait. Surveillé par la police, menacé d’arrestation, il va mener sa propre enquête tandis que l’emplit peu à peu la certitude d’avoir signé un pacte maudit.

Contrairement à L’ombre du vent, où les événements, si étranges fussent-ils, finissaient par recevoir une explication rationnelle, Le Jeu de l’ange joue délibérément la carte du fantastique : ici, le surnaturel déploie ses prestiges ; Andreas Corelli, avec sa jeunesse intacte en dépit des ans, est bel et bien un avatar de Satan qui propose à David un pacte faustien, et le dénouement du livre fait appel au merveilleux. Avec une maîtrise étourdissante, l’auteur orchestre des mystères auxquels Barcelone offre un cadre fascinant, colore le réel d’onirisme et nous fait partager l’effroi du héros confronté à l’inexplicable : « Je fis un pas en arrière en me bouchant le nez et la bouche, et reculai jusqu’au couloir. Les yeux de l’arlequin, avec son sourire de chacal, m’observaient depuis le miroir. Je courus vers l’escalier et m’y précipitai pour gagner le couloir conduisant au salon de lecture et à la porte du jardin que j’avais réussi à ouvrir. Un moment, je crus m’être perdu, et j’eus l’impression que la maison, comme une créature capable de déplacer les couloirs et les pièces à sa guise, refusait de me laisser m’échapper. Finalement, j’aperçus la galerie vitrée et courus à la porte. J’entendis alors derrière moi ce rire sarcastique qui m’apprit que je n’étais pas seul. Je me retournai un instant et entrevis une silhouette sombre qui m’observait du fond du couloir, un objet luisant à la main : un couteau. »

Magicien éblouissant, Carlos Ruiz Zafón dévide le fil sinueux d’une intrigue que le lecteur suit avec passion et qui se déroule sur deux niveaux, puisque le destin de David répète celui d’un autre réprouvé qui a habité la même villa sinistre et maudite, tandis que se développe le thème romantique de l’amour impossible et fatal. On regrette seulement que le dénouement ne résolve pas toutes les questions soulevées au fil du livre, et laisse un peu le lecteur sur sa faim.

Au-delà de l’intrigue romanesque, Le Jeu de l’ange est également irrigué par la passion de la littérature à laquelle le héros a consacré sa vie. Car David est un homme d’encre et de papier, pour qui vivre et écrire ne font qu’un. C’est pourquoi la mention du Cimetière des livres oubliés n’est pas ici seulement un clin d’œil au roman antérieur. Cette cathédrale du livre est là pour nous rappeler l’acte de foi du libraire Sempere, qui « croyait que tant qu’il resterait une seule personne dans ce monde capable de lire et de vivre les livres, il subsisterait un petit morceau de Dieu ou de vie », profession de foi à laquelle s’associe vraisemblablement Carlos Ruiz Zafón.

Avec ce Jeu de l’ange, le romancier poursuit la construction d’une Barcelone fantasmagorique qui fournit le cadre d’un univers aussi riche que cohérent.

Sylvie Huguet 
(12/10/09)    



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Lectures









Editions Grasset


544 pages - 22 €

Traduit de l'espagnol
par François Maspero







Carlos Ruiz Zafón,

né à barcelone en 1964,
est romancier et scénariste. Depuis 1993, il vit à Los Angeles. Ses romans ont été traduits dans plusieurs langues et primés en Espagne, en France et ailleurs.



Pour visiter son site
(en espagnol) :
www.carlosruizzafon.com


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Wikipédia


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