Catherine ZITTOUN

Paris - Pékin



Tout d’abord, permettez moi de vous dire la beauté plastique de la couverture qui reprend une œuvre de Lau Throw Beng, présentant des traces, des signes nous donnant l’impression d’être en présence de temps différents sous forme de traces qui se superposent et qui nous font signe. La couverture vient nous dessiller les yeux pour aborder l’univers de Paris - Pékin de Catherine Zittoun. L’écriture y est porteuse de signes jouant dans l’espace et le temps, où dans un même lieu viennent s’associer, au temps présent, des strates du passé avec comme fil conducteur Victor Segalen et Kouang-Siu, le dernier empereur de la dynastie Mandchoue. Il est intéressant de noter que cet empereur Kouang-Siu avait tenté de modifier profondément le système politique de son pays, réformant plus ou moins adroitement les institutions chinoises, suivant le modèle occidental. Il s’en suivit une destitution de sa personne puisqu’il fut déclaré incapable de gouverner et enfermé jusqu’à la fin de sa vie (il semble qu’il fut empoisonné à l’arsenic dans sa cellule). Cette explication vient conforter la sensation d’une rencontre Orient/Occident dans le Pékin qui s’ouvre à nous dans ce recueil de poésie.

Le recueil commence à Paris avec ce que l’histoire chinoise a laissé de traces dans la mémoire du poète, ainsi que des références à Victor Segalen pour ses écrits sur la Chine et la littérature occidentale (que Kouang-Siu a pu connaître) ou les poètes qu’il a pu rencontrer :

Segalen
votre nom comme une enveloppe fermée
je vous connais à peine
vos livres, Peintures, Stèles
flâneries dans l’âme chinoise.

Vos découvertes archéologiques en Chine du Sud
votre histoire mêlée à celle de Kouang-Siu
dernier empereur de la dynastie Mandchoue.
Ambassadeur du siècle
vous côtoyez Saint John Perse et Claudel.

Je pars
au sortir d’une maladie qui n’en finit pas.
Comment faisait-on avant les antibiotiques ?
Je respire plus librement
mon esprit retrouve des contacts au monde.
Je pars
pour Pékin
que vos pas ont tracé.

Nous sommes à Pékin et les premières impressions de la vie viennent s’inscrire dans le regard du poète avec le sentiment d’être encore extérieur au lieu :

Pékin
comme un nom qu’on n’a pas ouvert
citadelle énigmatique
l’air est fait de cristal.
La présence tient aux passants, aux voitures
aux cyclistes, à l’animation des rues.
Rien ne raccroche au sens
les enseignes, les journaux
portent des caractères indomptables.
Soudain le familier
des manifestants pour la secte Falungong
arborent des pancartes
le spectre des camps est proche.

Catherine Zittoun nous entraîne dans les rues de sa mémoire qui viennent se frotter aux rues de la ville. Ce qui n’existe plus s’inscrit devant nos yeux, ce qui existe encore est enserré par le Pékin d’aujourd’hui. Alors, le monde s’agglomère les choses se confondent/il faut chercher la différence plus loin en soi/se faire plus petit/ralentir. Petit à petit, quelque chose se passe comme une traversée dans l’univers mental du lieu. Une accrue de regard nous fait rencontrer l’esprit du lieu. Les paysages résonnent en vous. /Le tableau et le vivant font un. /Le peintre chinois assoit son trait sur l’étude/philosophie, esthétique du corps, des paysages, religion/paysagisme, yoga, méditation. /Il n’est pas là et il est là/dans chaque grain de nature/respiration du paysage. /Il regarde/jusqu’à naître dans le rythme et le murmure de la terre. /Il boit le temps/et les choses sont là/évidentes. Alors Pékin prend sa vraie place au regard, non plus tel un univers fermé, mais tel un étranger que l’on rencontre, avec qui la conversation s’engage. De petites ouvertures invitent à être dans le lieu, non plus devant. Pékin/vaste chantier/mais on vit dans le Parc des Collines Parfumées/comme dans la chair d’un poème… Mais bien sûr nos repères sont parfois trop provisoires sans que l’on ne le sache, alors la surprise est totale, on se perd dans un trajet déjà réalisé la veille : Mon repère, une échoppe. /Lendemain, même trajet/je me perds/plus d’échoppe/un homme dort sous un baraquement/au milieu d’un chantier. Tout le savoir mémorisé permet de prendre vie dans les sites historiques de la ville. Kouang-Siu ressurgit dans la Cité Interdite… Et nous commençons à prendre la mesure de la ville, où : Proportions et perspectives impressionnent/des avenues gargantuesques tracent une ville en travées/les boulevards/sur des kilomètres/sont bordé de constructions écrasantes. Vient, dans ce cheminement, la mesure du temps qui s’accélère dans le Pékin d’aujourd’hui où tous/sont emportés par un monde/qui se métamorphose à l’allure du serpent. /Au parc de la Terre/combien de temps encore/les familles en pique-nique ?

Catherine Zittoun, avec une écriture qui sait patiemment dire, tel un peintre chinois, l’essence de ce qui est regardé, de ce qui est vécu, de ce qui va venir s’adjoindre à la mémoire de la main qui écrit. Les silences, les cassures syntaxiques, les ruptures de rythme sont des pertinences pour dire le mouvement du corps et du regard dans une perception de la pensée. Il y a quelque chose de magique dans cette écriture qui nous fait rêver notre présence près du poète en ces pérégrinations pékinoises. Nous y sommes, nous voyons, nous y croyons. Merci à Catherine Zittoun pour ce magnifique voyage dans le Pékin d’hier et d’aujourd’hui. Il est étonnant que sans jamais y avoir séjourné, des images viennent s’inscrire en mémoire après la fermeture du recueil.

Gilbert Desmée 
(11/01/09)    



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