Retour à l'accueil du site





Eva AAGAARD

Je ne veux pas


Depuis quelques années, on hésite moins à mettre en lumière les affaires d’agressions sexuelles et de viols. On dit que la parole s’est « libérée ». On met en avant la notion de consentement. Mais dire non, est-ce suffisant ?
C’est la question que se pose Miriam, 30 ans, après avoir été violée. Elle a du mal à admettre cette qualification de viol. Elle n’est pas sûre d’avoir assez dit non.
« Je voulais qu’il s’en aille. J’ai essayé de l’arrêter. J’ai essayé de dire non. Mais ça n’a pas marché. »
« Je ne crois pas qu’il ait compris. Je n’ai pas arrêté de dire que je ne voulais pas, de me dégager, en quelque sorte. À un moment, il a dit que je ne le pensais pas. Et du coup il l’a fait quand même. »
« Je lui ai demandé d’arrêter. Je l’ai dit plusieurs fois mais je ne sais pas… Peut-être que je ne l’ai pas fait comme il fallait. »
« J’ai dit non mais pas… physiquement. J’ai juste dit non. »
Cette question l’obsède et elle revit la scène en boucle pour analyser ses réactions, extraire des images, des détails de ses souvenirs alcoolisés, de sa mémoire embrumée.

Mariée avec Alex et mère de la petite Elin, Miriam avait envie de sortir avec une copine, une soirée comme avant sa grossesse. Alex l’a encouragée à y aller. Elle a rejoint son amie Freja dans un bar de Copenhague. Il y a des collègues de travail. Ils bavardent, ils rient, ils boivent. Au bout d’un moment, elle est ivre, elle sait qu’elle a trop bu, elle veut rentrer. Les autres continuent leur soirée. Elle part seule vers une station de taxis. Une voiture arrive près d’elle, s’arrête. Ce n’est qu’une fois à l’intérieur qu’elle se rend compte que ce n’est pas un taxi.  Le chauffeur à l’air gentil. Il lui parle, lui propose une dernière bière, l’entraîne dans une cave et la viole.
Pourquoi est-elle montée dans cette voiture ? Pourquoi a-t-elle suivi cet inconnu dans la cave ? Pourquoi ne s’est-elle pas débattue ? L’ivresse, bien sûr, la nausée, l’envie de dormir…
Mais cette réponse ne lui suffit pas. Elle pense que les vraies réponses viennent de plus loin. Qu’elles ont toujours été en elle. Qu’elle n’est pas la bonne personne qu’elle devrait être. « Il y a quelque chose qui cloche chez moi. »

Alex, son mari, est tendre, compréhensif, attentionné mais il a du mal à comprendre pourquoi elle refuse d’admettre qu’il s’agit d’un viol, pourquoi elle hésite à consulter et à porter plainte.
Elin est une petite fille adorable, très attachée à sa mère mais Miriam ne supporte plus de s’occuper d’elle. C’est à regret qu’elle la prend dans ses bras quand elle pleure.
« Miriam se tourne, attrape Elin et la serre contre elle. L’enfant se calme mais elle-même se sent répugnante Dans quelques années, Elin comprendra ce que les événements de la cave ont révélé. Miriam n’est pas une bonne mère, elle n’est qu’un corps susceptible de faire les bons gestes, de bercer et de sécher les larmes d’un enfant, mais incapable de veiller sur quiconque. »

C’est cette culpabilité, cette introspection, cette remise en question qu’on va partager au fil des pages. Nous n’en dirons pas plus parce qu’il s’agit d’un roman et que c’est au lecteur d’accompagner Miriam dans ses réflexions, dans son quotidien bouleversé, dans sa quête obstinée au cœur de son passé, dans son combat pour la vérité et de découvrir comment finit cette histoire.

Ce premier roman d’une autrice danoise est bien écrit, bien construit, passionnant, utile et salutaire. Il pourrait aider les policiers, les avocats, les juges à mieux comprendre les hésitations, les dénis, les interrogations des victimes qui culpabilisent et cherchent en elles une explication à ce qu’elles ont subi. Un roman courageux et lumineux malgré la noirceur de son point de départ.

Serge Cabrol 
(28/08/24)    



Retour
Sommaire
Lectures







Eva AAGAARD, Je ne veux pas
Denoël

(Août 2024)
288 pages - 22 €

Version numérique
15,99 €


Traduit du danois par
Marina Heide






Eva Aagaard,
née à Copenhague en 1988, est traductrice et journaliste. Je ne veux pas est son premier roman.