Retour à l'accueil du site





Valérie FAYOLLE

La robe du jaguar


« Je pars en voyage, je ne sais pas quand je rentrerai, ne t’inquiète de rien, installe-toi chez ton père pour quelques semaines. » C’est en laissant ce mot sur la table de la cuisine que Rose Dessables est partie dans le plus grand secret et ce n’est qu’un peu plus tard, à son arrivée à Lima, qu’elle envoie un message à sa fille pour l’informer qu’elle va s’immerger dans la forêt amazonienne du Pérou. « On m’a proposé de réaliser un documentaire sur les chamans péruviens. Tu connais ma fascination pour les croyances et les pratiques ancestrales. Alors, j’ai dit oui. C’est aussi simple que cela. » Mais elle ajoute : « Ce voyage est bien plus important que je ne pourrais te l’expliquer en quelques mots. »

Qui est donc cette femme capable de partir ainsi sans en parler à personne ? Pourquoi ce voyage est-il aussi important ?  C’est ce que nous apprenons au fil de ce roman construit en alternant le journal intime qu’elle tient régulièrement du 12 mai au 30 juin et les messages qu’elle échange avec ses proches et qu’ils échangent entre eux. Tout est donc écrit à la première personne.

Rose Dessables est une femme qui n’en a toujours fait qu’à sa tête, considérée par tous comme audacieuse, imprévisible, passionnée, fantasque, solide comme un roc et très créative. « Quand j’exerce mon métier de journaliste, quand j’imagine des romans, des scénarios, des films de docufiction, quand j’écris des chansons que j’ai le culot d’interpréter, je suis animée par une seule volonté : raconter des histoires. »

Ses proches, ce sont d’abord ses enfants.
Sa fille, Elisa, vingt-deux ans, vit avec Rose à Paris et prépare un double master intelligence artificielle / philosophie. Passionnée d’informatique depuis le plus jeune âge, c’est une hackeuse redoutable capable de s’immiscer dans les systèmes les plus protégés, ce qui lui a déjà valu quelques désagréments.
Son fils, Alexandre, vingt-deux ans, vit à New-York et ne partage pas du tout les conceptions de sa mère. Il est très en colère quand il apprend ce départ aussi brutal que mystérieux.
Son mari, Adrien, dont elle s’est séparée mais à qui elle refuse de signer les papiers du divorce. Elle est partie pour que leur couple ne sombre pas dans la routine et l’ennui, mais elle conserve pour lui une grande tendresse, ce qui a le don de le mettre, lui aussi, très en colère, parce qu’il a très mal supporté leur séparation.
Enfin, il y a Jim, l’amant de treize ans de moins qu’elle, musicien et compositeur, avec qui elle vit des moments très forts. Une relation que personne n’ignore dans la famille. D’autant plus qu’il a mis en musique une chanson de Rose, qu’elle a enregistrée et qui est devenue un grand succès grâce aux plateformes de téléchargement. Lui non plus ne comprend rien à ce départ précipité au moment où Shot de Gin devient un tube planétaire et qu’il est confronté à toutes les demandes d’interviews de la pesse voulant rencontrer la chanteuse.

Tous ces proches réagissent à ce surprenant voyage préparé dans le plus grand secret, sans un mot à quiconque, contrairement à ses habitudes. Les mails qu’ils échangent avec elle et entre eux expriment la surprise, la colère, l’incompréhension mais aussi, entre les lignes, leur attachement et leur admiration pour cette femme aussi insupportable que libre et entière. Même Jim, l’amant, écrit au mari et aux enfants pour essayer de savoir où elle est partie et comprendre les raisons de cette fuite en plein succès. Leurs réactions sont plutôt vives.
Mais peu à peu, ils se mettent à parler d’elle et on découvre la nature des relations qui se sont tissées entre eux.

Dans son journal, Rose raconte son arrivée dans la forêt amazonienne et les débuts difficiles du séjour qui est un stage collectif auprès d’un chaman. « Je suis arrivée avec un groupe d’une dizaine d’étrangers. Tous en quête de quelque chose. Il y a les désespérés qui souhaitent éponger leur mal-être. Les égarés à la recherche d’une révélation pour donner un sens à leur vie. Les téméraires en mal de sensations fortes. Et les mystiques qui veulent communiquer avec l’au-delà et se nourrir de spiritualité. Je ne saurais dire à quel groupe j’appartiens. »
Les conditions sont rudes. Couchage à la dure dans des huttes sans confort. Jeûne presque total avec seulement des mixtures à base de plantes. Longues marches dans la forêt. Cérémonies et danses rituelles… Rose se demande parfois ce qu’elle est venue faire dans cette galère. Puis elle rencontre le chaman, El Maestro Paco, et elle va peu à peu découvrir l’étendue des connaissances de cet homme, sa compréhension de l’âme humaine et des ressources de la nature, et ressentir les effets du lâcher-prise concernant son hyperactivité habituelle et tous les bénéfices de cet étrange retour aux sources.
Quant à la vraie raison qui motive Rose pour ce voyage déconcertant, on ne la découvre qu’au milieu du livre, je ne vais donc pas en parler ici, mais évidemment, elle donne un autre élan et un autre sens à cette aventure…

Le livre aborde aussi le problème de la déforestation qui menace la vie de la planète et plus précisément la survie des populations autochtones chassées de leurs villages par des incendies qui transforment leurs territoires en champs de coca, de palmiers à huile ou de soja.

Rose est une battante et nous la suivons avec plaisir au fil du roman ou plutôt aux fils de ce livre qui se tisse de page en page en mêlant ces cinq voix aux échanges souvent vifs, oscillant entre tendresse et incompréhension, amour et colère. De beaux personnages au cœur d’une grande aventure humaine.

Serge Cabrol 
(19/08/24)    



Retour
Sommaire
Lectures







Valérie FAYOLLE, La robe du jaguar
Récamier

(Mai 2024)
256 pages - 20,50 €











Valérie Fayolle
a été reporter pour TF1 avant de devenir rédactrice en chef et animatrice du "Paris des Arts" sur France24.
Elle est déjà l'autrice d'un roman KM930 (Pocket, 2023), et d'une pièce de théâtre, Le Comble de la vanité.


Pour visiter son site :
www.valerie-fayolle.fr