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Léo LEBRUN

La bagarre !


Le judo fait partie de la vie de Léo Lebrun, un jeune homme de trente-quatre ans. Il appartient à une famille de judokas dont son père, Frédéric, ancien membre de l’équipe de France, puis entraîneur et cadre d’Etat, décède subitement en juin 2004. Ce dernier aimait écrire de la poésie et peindre. « Je ne sais pas s'il avait une ambition littéraire ou s'il avait, ne serait-ce qu'une fois, été tenté par l'idée d'une publication, mais la relecture de certains passages d'errances me fait penser qu'il aurait pu écrire un livre formidable sur le judo. » Cependant, ce père entretient une légende, la sienne, par un extraordinaire don de fabulateur et un non moins sens de la fête autant que par ses exploits sportifs. Étonnante stature physique, il impressionne. « Dans mes souvenirs de petit garçon, mon père va à la pêche. Parfois il m’emmène avec lui. À l’aube à la rivière, au crépuscule à l’océan. Parfois, il y des copains et parfois, non. » Néanmoins, il est pour Léo un père aimant avant tout. Auparavant Léo a honoré la tradition familiale en pratiquant le judo jusqu’à ses treize ans, entraîné par sa belle-mère Émilie, elle aussi une championne. Puis, graine de champion et bon élève, il décide ne plus vouloir pratiquer ce sport. Il trouve le courage, tremblant, de le dire à son père. Vingt plus tard, à trente-quatre ans il se pose la question, paraphrasant Lénine : « que faire ?... la réponse est venue naturellement : passer la ceinture noire » 

La tâche comporte quelques astreintes. « Oui, j’ai une femme, un fils et une plaque en laiton avec mon nom gravé dessus […] Mon fils veut que je joue au petit train. Ma femme, voyant que je me mets à écrire, me demande de relancer le plombier et, alors que la réaction normale serait d'aller acheter des cigarettes et de ne plus jamais revenir, je ne pense, quoi que j'en dise, qu’à ne pas trop les décevoir sans vouloir céder à leur désir plutôt qu’au mien. » Au jeu de la famille des judokas s’associe la petite sœur Lalou. Une championne de judo en pleine crise existentielle et en quête de réconfort, tâche que Léo ne sait comment assumer, lui-même pas très assuré de sa propre démarche et surtout ne trouvant plus de mots. Son frère, encore une ceinture noire de judo. « Il est beau comme son âge. Il peint et écrit des poèmes magnifiques, il est magnifique. » Se greffe alors la réalité du sport et sa pratique synonyme de conviction, de ténacité et d’assiduité. « Le premier jour, j'ai recommencé à me faire mal. Tout court… Se faire mal, c'est aller chercher dans les enfers de son ventre de quoi être un peu plus vivant et fort qu'on ne l'est. » Ajouter à cela ce que lui envie Lalou « Avoir un boulot, faire 9h - 17h, voir mes amis, faire l’apéro. Terrible. En même temps qu’elle me renvoyait à ma condition d’exploité, elle trahissait l’intégration joyeuse de l’idée de servitude volontaire. » Dernière touche, une petite idée derrière la tête : écrire. Reprise du flambeau de l’ambition avortée chez son père ? « Je ne sais pas quand j’ai eu l’idée d’écrire un livre sur le judo. Je doute même que cela puisse être qualifié d’idée. Mon idée – mais peut-être est-il plus juste d’appeler cela un rêve, un caprice ou une purge – était d’obtenir le 1er dan afin de devenir ceinture noire. » L’écriture et le judo bouturés sur l’univers du quotidien, grignotent et revendiquent jour après jour leur place. Léo rassemble sur un petit chariot ce qu’il pense avoir besoin pour écrire un livre où va défiler les souvenirs. « La possibilité d’une phrase était là, mais elle peinait à surgir. Elle était bloquée dans une course d’élan sans fin et ne parvenait pas à se réaliser […] Preuve que ce moment de flottement avait de l’importance, je n’ai rien écrit là-dessus pendant plusieurs semaines, oubliant même qu’une boule de feu était prête à sortir de mon bide pour incendier le monde. »

Reprendre le judo n’est pas une lubie mais un parcours de vie mettant en branle tout l’individu qu’est Léo. « Au même titre que la pratique d’un sport de combat, l’écriture donne une direction à mon existence. » Écrire, c’est aussi, pour Léo, dévoiler une part de sa personnalité. « Il faut du courage pour accepter sa nullité. La plupart du temps, on se contente de faire ce que l’on sait faire. » C’est aussi surmonter un handicap quand on pense avoir un rapport « assez flottant à l’écriture […] J’écris comme un fossoyeur qui aime son métier. » En écrivant La bagarre !, Léo Lebrun réalise un livre marqué par une envie de communiquer plus que des souvenirs. « Je suppose que pour bien faire, il faudrait que j’arrive à imprimer le rythme des séquences au texte, que je parvienne à resserrer la ponctuation afin que je puisse traduire la sensation d’oppression et d’étouffement d’une paire de bras qui vous comprime tout doucement l’artère carotide avec votre propre kimono. » Au fil des pages, Léo exprime le même sentiment vis-à-vis de la société. « La condition humaine est insupportable et nous n’avons rien trouvé de mieux que de la compliquer avec l’ordre et la morale. » Un étouffement dont il veut se libérer. « Mais peut-être que je me trompe, peut-être que le sens de la vie c’est de choisir ses prisons. L’important est de ne pas perdre le double des clés. »

Le judo et l’écriture sont en étroite corrélation chez Léo Lebrun. La narration de l’auteur virevolte et mêle l’un et l’autre pour en faire autre chose qu’une suite désordonnée du rappel d’un passé. Une esthétique singulière se dégage. La chronologie apparemment échevelée, faite de souvenirs épars, structure, à sa manière, le récit. Un personnage central, Léo, évolue dans un système de relations multiples. Il organise les rapports avec son entourage, le ménage en lui laissant un libre arbitre, tout en cherchant à exister et donner un semblant de cohérence à sa propre vie. Cet univers personnel induit aussi une éthique, vivre et laisser vivre les autres. Parallèlement, une lucidité le tient en éveil et le fait s’attendrir ou souffrir. Cependant, Léo Lebrun manifeste sa résolution, avec une écriture volontaire, directe, voire parfois, et à bon escient, rugueuse, ne cachant pas ses émotions et ses convictions, afin de trouver une famille élargie à une communauté lui ressemblant, au fil des rencontres de hasard ou pas. Léo cite parfois Nietzsche, cherche dans La bagarre ! le grand style à travers le beau geste. Une sorte de projet, comme une œuvre d’art en fin de compte où peut surgir, comme le souligne Pierre Sauvanet dans un ouvrage sur l’esthétique, « la possibilité de l’esprit d’une communauté fondée ni sur la religion, ni sur la nation, ni sur la langue, ni sur la parenté, ni sur l’intérêt, ni sur la raison. L’œuvre d’art est un rêve qui devient parfois réalité. »

Chaque chapitre possède, comme chapeau, une annonce en forme de haïku ou approchante et souvent humoristique. Dans l’un d’eux, intitulé « heureusement il y a les livres que l’on n’a pas encore écrits et que l’on ne lira jamais », l’auteur dit avoir pensé à écrire beaucoup de livres. Un récit de voyage, un journal, un roman noir, un truc porno, un guide touristique de sa rue et biens d’autres encore, rêve de tout écrivain. Alors, attendons le prochain ouvrage. Quel que soit le sujet, pour sûr nous y retrouverons la même passion, le même  emportement sincère et cette rage de nous communiquer ses émotions qui emportent notre empathie. À l’instar de Lalou, la petite sœur, expliquant son choix de quitter l’INSEP et avoir fait pour réussir « tout ce qu’il faut, mais ça ne marche pas », Léo réussit et peut conclure, avec La bagarre !, avoir déjà fait tout ce qu’il faut, et ça marche !

Michel Martinelli 
(05/08/24)    



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Léo LEBRUN, La bagarre !
Le panseur

(Mars 2024)
280 pages - 19 €









Léo Lebrun
La bagarre !
est son premier roman.