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Antoine, vingt-cinq ans, employé à mi-temps dans l'unique librairie d'un village en Bretagne, apprend par la télévision dans un bar la mort accidentelle de Jean-François Laborde, un homme politique influent, ancien maire et ancien ministre dont la vie a croisé indirectement la sienne autrefois. Une histoire d'abus sexuels dans l'exercice de ses fonctions lui avait alors été imputée, entraînant dans la tempête la mère d'Antoine, à l'époque adjointe à la mairie et maîtresse de l'élu, suspectée de complicité. Une soirée de vernissage qui finit en partouze à quatre avec dépôt de plainte pour viol de deux jeunes employées avec scandale local et médiatique à la clef. La maîtresse est arrêtée et toute la famille éclaboussée et livrée à la vindicte populaire. Les puissants avocats de Jean-François Laborde qui nie en bloc, plaident le complot contre un simple amateur de femmes piégé par des mythomanes et obtiennent rapidement un non-lieu et le classement de l'affaire. Tant pis si l'une des plaignantes traumatisée s'est suicidée quand elle apprit la nouvelle et que la famille d'Antoine, exposée et salie, explose. Le maire blanchi ne sera même pas fragilisé dans ses fonctions locales. La nouvelle de ce décès replonge le jeune homme en arrière alors qu'adolescent il habitait avec son frère, Camille, dans cette petite ville de banlieue, auprès d'une mère belle et glacée, une actrice ratée reconvertie en épouse et mère de famille modèle tirée à quatre épingles et « toujours soucieuse du qu'en dira-t-on » et d'un père aussi sévère que distant « englué dans la "glaise du quotidien" ». Pour tous ce fut l'heure de la honte, pour les deux adolescents celle aussi de l'incompréhension, de l'exclusion sociale, des ruptures et de l'effacement. Après avoir rompu tout lien avec sa famille, additionnant kilomètres, temps et silence pour établir une infranchissable distance avec ce sombre épisode, Antoine s'était réfugié au bord de la mer où il vivait depuis en sauvage, plus amoureux apparemment du paysage et de la nature que de la petite amie qu'il fréquente régulièrement. La renverse est la « période de durée variable séparant deux phases de marée (montante ou descendante) durant laquelle le courant devient nul ». Le titre est bien choisi pour ce personnage solitaire et taciturne (un de ces alter ego que l'auteur affectionne, familier à ses lecteurs fidèles) qui donne l'impression de s'être mis en réserve de la vie depuis le drame. Un être cassé qui s'est mis en pause, s'est planqué derrière une vitre pour fuir la réalité. Si Olivier Adam semble s’être inspiré de faits divers comme l'affaire du maire de Draveil (Georges Tron), du feuilleton Strauss-Kahn et autres scandales politico-sexuels récents, qu'il y dénonce une justice à deux vitesses qui condamne sans état d'âme les petits pour offrir l’impunité aux hommes de pouvoir, nourrissant en cela un climat malsain du « tous pourris » ayant pour conséquences l'accroissement du nombre d'abstentions et le refuge dans les extrêmes, que le poids des médias est assez puissant pour détruire la vie des uns mais que les « casseroles » accumulées semblent ne jamais faire barrage à la réélection de ceux dont la célébrité rassure, ce roman n'est pas une chronique de ces faits sordides. Pas uniquement un pamphlet politique, non plus. C'est l'interrogation sur ces faits, leur contexte social, les conséquences individuelles et familiales, qui nourrit la narration. Ce roman où violence sociale et intimité s'entrechoquent est aussi et surtout un très beau livre sur l'adolescence. À travers Antoine, ses questions, son refus de s'impliquer et son enfermement dans la douleur, la façon dont il a occulté la réalité pour s'en protéger, mais aussi par l'itinéraire suivi par son frère Camille, par l'histoire de son ami Nicolas ou celle de Laetitia, c'est la difficulté d'être, de se construire dans un monde dégradé et hypocrite où seule l'apparence fait loi, qui affleure ici, avec justesse et émotion. Dominique Baillon-Lalande (12/04/16) |
Sommaire Lectures Flammarion (Janvier 2016) 268 pages - 19 €
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