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Laura, la narratrice, a huit ans à peine. Afin d'optimiser la période d'attente qui lui est imposée avant de parvenir à rejoindre sa mère en exil, Laura bénéficie de cours de français avec Noémie. La familiarisation avec les sons étranges de cette langue (voyelles nasales dont la prononciation s'effectue ''sous le nez", ''e" muets, "c" cédille...) est difficile mais face à l'espagnol qui incarne la dictature et l'enfermement du père, le français apparaît comme la langue de la liberté et du salut. La petite est studieuse et progresse lentement. Mais l'attente se prolonge, un an, deux, et quand Noémie lui parle de ce pays différent où tous les chiens s'appellent Médor, où chacun connaît et chante "À la claire fontaine" ou"Frère Jacques", Laura, rodée aux dialogues, la comprend maintenant aisément. Ce n'est qu'en 1979, lors de sa dixième année, que l'enfant pourra
enfin quitter l'Argentine pour la France. Elles partagent l'appartement et le loyer avec Amalia, une amie de sa mère,
une femme généreuse. "Elles étaient ensemble à
l'université, toutes les deux faisaient des études d'histoire.
Alors, quand elles se sont retrouvées par hasard, à Paris, après
les disparitions, la peur et les morts, elles se sont naturellement serré
les coudes". Quand Laura est enfin admise à l'école, les moqueries sur son accent et son ''étrangeté'' ne tardent pas. Rudes règles de la collectivité et de l'intégration. Une raison suffisante pour que celle-ci décide de mettre les bouchées doubles, s'essayant à prononcer les ''u'' sans accent devant sa glace, "traquant les ''e'' muets", et tentant de se faire des amies parmi les "vraies" Françaises. Pas si simple car naturellement, les premiers camarades d'école à l'approcher, dans ce vrai barrio latino qu'est le quartier de l'école Jacques Decourt qui l'accueille, viennent aussi d'ailleurs. "Luis et Ines sont portugais, Ana est espagnole, pourtant entre eux, ils parlent toujours français. Avec eux je suis moins gênée quand il faut que je parle." Ils forment une petite bande de filles soudée autour de celui que les autres garçons tournent en dérision en l'appelant Loulou la tapette et qu'elles tentent de protéger. Un jour, enfin, elle se lie avec deux Françaises : Astrid, la belle dont un il a été remplacé par une bille de verre depuis un accident et Nadine atteinte d'un zézaiement prononcé. Avec elles le voile se lèvera sur ce nouveau monde qui s'offre à elle et qu'elle veut pénétrer, plus par désir intime et amour de la langue que par obéissance à sa mère qui, pensant à son avenir, fait pression. Ces relations "françaises" lui permettront aussi d'obtenir la légitimité qu'elle attendait pour qu'enfin la honte d'avoir un accent, de porter des vêtements du Secours catholique, d'être d'ailleurs, sans père et sans argent, l'abandonne. Pour perfectionner sa maîtrise de la langue, Laura va aussi à
la bibliothèque. Elle y choisit Les fleurs bleues, pour son titre,
et s'obstine à vouloir ce livre-là malgré les mises en
garde de la professionnelle qui trouverait Le petit Nicolas plus adapté
à son niveau. Elle s'obstinera à le lire, avec difficulté,
jusqu'au bout pour se prouver ses qualités de lectrice ''en français''.
En quittant son père, elle lui a promis de lui écrire chaque
semaine, en espagnol, pour lui narrer son quotidien. Dans ces lettres assez
neutres pour ne pas heurter la censure des autorités, ils échangent
aussi, comme ils en ont convenu, sur leurs lectures partagées. La première
découverte commune sera La vie des abeilles de Maurice Maeterlinck
(d'où le titre du livre) dans lequel l'auteur essaie de prouver que la
couleur préférée des insectes est le bleu, couleur préférée
de la petite, couleur de l'espoir aussi. D'où le choix des Fleurs
bleues de Queneau... Mais le détenu qui a le droit à cinq photos (et pas une de plus !) dans sa cellule, avec "des personnes avec il a un lien de parenté et dont il a au préalable déclaré l'identité", visées comme conformes par l'administration pénitentiaire, réclame aussi à Laura une photo d'elle avec sa mère, en plan américain, dans leur univers quotidien. La gamine, tétanisée par cette responsabilité, craignant que la photo ne le déçoive, qu'elle déplaise aux gardiens et soit déchirée, tarde à s'exécuter, provoquant l'incompréhension et l'agacement de celui-ci. Il faudra attendre quelques mois pour qu'elle glisse enfin une des prises dans l'enveloppe sans craindre "les ciseaux des gardiens", "comme si de rien n'était, sans donner d'explication sur cette si longue attente". Un geste qui coïncidera exactement avec la fin de la lecture du Queneau dont elle traduit pour lui la dernière phrase : "Une couche de vase couvrait encore la terre, mais, ici et là, s'épanouissaient déjà de petites fleurs bleues." Quand, Raquel et Fernando, anciens guérilleros argentins réfugiés
en Suède, débarquent avec une voiture pleine de cadeaux lors de
leur tournée des exilés, c'est par solidarité mais aussi
pour dresser un "inventaire des exilés, des disparus et des morts",
entretenir la mémoire et raviver l'espoir de revoir un jour ceux qui,
comme le père, sont encore là-bas. On estime à 30 000 le
nombre des "disparus", 15 000 celui des fusillés, 9 000 prisonniers
politiques et 1,5 million d'exilés, victimes de la dictature militaire
argentine de 1976 à 1983. Laura Alcoba fait défiler les souvenirs... L'auteur nous livre dans se roman sa propre histoire, à la première
personne et à hauteur d'enfant. Un regard simple naïf, émouvant
sur la dictature, l'exil, la solidarité du réseau, la difficulté
d'être émigrée et les efforts fait pour s'intégrer
à tout prix. A partir des situations qui se présentent à elle, d'anecdotes vécues, d'instantanés saisis au vol dans ses relations aux autres, Laura Alcoba, en de courts chapitres organisés chronologiquement, restitue en toute simplicité, mais non sans grâce, un quotidien que la légèreté dispute au tragique, l'espoir à la souffrance. En toile de fond du récit, se dessine aussi la banlieue des années 70 où la mort de Claude François faisait pleurer dans les HLM du Blanc-Mesnil, ceux de la Voie-Verte avec les Espagnols, Portugais et Latinos, ceux des Quinze-Arpents où sont regroupés les Arabes et les Noirs, autant que les ouvriers français qui ont pu accéder aux petites maisons individuelles qui jouxtent l'ensemble. Chronique, à la fois délicate, tendre, poétique, drôle,
réaliste ou faussement ingénue, de l'exil et de l'intégration,
Le bleu des abeilles est un récit plein de fraîcheur et
d'émotion . Dominique Baillon-Lalande (08/12/13) |
Sommaire Lectures Gallimard (Août 2013) 128 pages - 15,90 €
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