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André BLANC


Tortuga's bank



Un premier chapitre, un peu énigmatique, sorte de prologue, nous emmène en Allemagne, et nous parle d'un jeune homme, Stéphane Vauclin – Mon destin disaient-ils, se lisait dans les étoiles d'une année qui resterait à jamais dans la mémoire des hommes. Bien des années plus tard, en y repensant, il s'avéra que le signe céleste était évident pour Gagarine mais néfaste pour moi si je me référais au Mur… – et de ses parents décédés. Héritage idéologique ? Tragique ?

Mais juste avant la fin du chapitre nous basculons dans le présent, le prologue se serait-il transformé en épilogue ? Ou bien serait-ce pour l'auteur une façon de nous indiquer, fort subtilement, quelque chose qui se termine ?

Aujourd'hui, ici à Berlin, près de cinquante ans après le vol dans les étoiles de Gagarine, Maricke est là dans cette chambre de l'hôpital Virchow, les traits lissés par la mort. […] Je me retourne : Farel, dans le couloir, est là. Son souffle sur la vitre me cache son regard. Ombre immobile, il m'attend.

Dans le deuxième chapitre nous sommes à Lyon où le commandant Farel revient de vacances pour trouver le cadavre d'un ancien préfet, retraité et collectionneur de bibles anciennes. Sous la canicule de juillet, le crime, le mystère. L'appartement a été fouillé, et l'expertise d'une certaine bible aurait disparu : mise en scène ? Farel chassa les mouches de la main, se releva et vint se placer aux pieds, dans l'axe du corps. Il resta là un moment tentant de comprendre pourquoi le corps avait été placé là. "Il théâtralise son acte : on ne déplace pas un corps sans raison. Vu le désordre de la bibliothèque, il cherche quelque chose et nous colle une symbolique avec cette mise en scène… Et s'il se foutait simplement de notre gueule ?" Farel se releva.

Vont alors vite apparaître les possibles ramifications liées à ce meurtre.
On apprend que le préfet vivait tranquillement d'une retraite confortable, mais avait encore eu, d'après son fils, des activités après son départ de la préfecture : "D'après ce que j'avais compris, les groupes immobiliers font du lobbying auprès des banques, des élus, des administrations… et mon père connaissait parfaitement ces rouages-là. Il était je pense à un point de rencontre de tous ces réseaux."

L'enquête va conduire le commandant Farel à explorer d'autres pistes et si certains "rouages" se mettent en place, les réflexes de protection de certains personnages vont s'activer, le ministère réagir et nous ne pouvons que nous demander qui va être impliqué et ce que cela va déclencher. "Le conseiller Duclaste leva la tête des notes du matin […] Il connaissait toutes les chausses-trappes d'un ministère pour y être souvent tombé à ses débuts, tous les coups fourrés pour en avoir initié plus d'un et toutes les promesses non tenues pour avoir tant promis.

Nous découvrons des actions en sous-main, des décisions brutales afin d'écarter ceux qui pourraient comprendre ce qu'ils devraient ignorer.
Le Premier ministre s'inquiète….

Nous retrouvons Vauclin, personnage énigmatique, qui signale la disparition de sa femme. Kidnappée ?
Un attentat va coûter la vie à un flic. Avertissement ? De qui ?

La juge Fournier travaille avec le commandant Farel et enquête avec lui. Leur binôme fonctionne : Vauclin, j'y viendrai à la fin car on a là deux affaires qui se télescopent et s'entremêlent… Clauss détournait l'argent de certains clients de la banque BCH en leur faisant miroiter des rendements intéressants […] Il a créé une banque fictive, la Tortuga's bank, fabriquait de faux relevés sur son ordinateur et les envoyait tous les mois à Genève où il avait vissé une boîte aux lettres dans un vieil immeuble, derrière la gare selon la police suisse.

Le roman nous décrit, et nous allons peut-être les comprendre, des imbroglios complexes mais ce qui est aussi intéressant c'est cette manière de pénétrer les différentes couches des pouvoirs : financiers, politiques, mafieux. Des personnages honnêtes et avertis mènent les investigations, des personnalités fortes, courageuses, comme ce commandant Farel et sa compagne, face à des personnages qui peuvent avoir des failles mais qui savent très rapidement se retrouver dans le camp qui sert leurs intérêts.

Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage sur cette histoire, dense et complexe car elle foisonne et rebondit.
Il s'agit d'un roman très bien construit, qui invite le lecteur à s'intéresser de près à toutes ces affaires quelque peu "délicates".

Mais il faut surtout souligner l'écriture. Elle est claire, efficace, tonique même. Elle distille à bon escient quelques évocations poétiques qui aèrent agréablement la lecture : Farel resta silencieux, passa sa main sur les feuilles du troène faisant bondir un sarcopte. Une corneille sur le toit lui cria sa solitude. Il leva les yeux vers la voute céleste, chercha Orion dans ce ciel d'été. En vain. Il n'y trouva que les reflets de la ville.

Un roman policier, un roman qui dit les crimes, l'absence de scrupules de ceux qui détiennent une forme de pouvoir, mais un roman avec également ces accents-là : je pense à ma mère, j'envie ses valeurs, son casoar et ses gants blancs, et je prends conscience qu'une fois de plus, j'étais un passager, que toute ma vie je suis passé à côté de l'essentiel.
Un roman avec un goût amer, un climat tendu, une fiction ?

Anne-Marie Boisson 
(17/04/13)    



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Noir & polar









Editions Jigal
(Février 2013)
248 pages - 18 €






André Blanc,

né à Lyon, dentiste, adjoint au maire de Michel Noir à la fin des années 80 ("avant de démissionner pour inadéquation totale"), publie avec Tortuga's bank son premier titre chez Jigal.


Un entretien avec
André Blanc
est disponible
sur le site :
Un polar-collectif






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