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Margaret ATWOOD

Le temps du déluge



Imaginez une religion qui annonce le désastre. Un martyrologe où l’on trouverait Saint Jacques Cousteau et Sainte Dian Fossey. Un livre des cantiques où l’on célèbrerait les « taupes petites et parfaites ». Imaginez aussi des Jardiniers de Dieu, et une Genèse à réinventer. Margaret Atwood, la grande dame des lettres canadiennes, imagine et invente ce monde en décomposition et recomposition. Dans Le Temps du déluge, qui fait partie d’une trilogie mais que l’on peut lire à part sans aucun problème, quelques rescapés d’une épidémie qui a pratiquement détruit l’espèce humaine tentent de survivre. Il s’agit de trouver à manger, et à penser. Deux femmes – Ren et Toby – emmènent le lecteur dans le temps du présent et dans le temps d’avant. Elles ont pour point commun d’appartenir aux Jardiniers de Dieu, mais diffèrent dans leurs caractères et leurs motivations. L’une est un peu simplette, l’autre cherche avant tout la sécurité.
 
Margaret Atwood décrit un monde terrifiant, ravagé par les appétits des multinationales, les entourloupes qui transforment les humains en cobaye, la course à l’autodestruction. Elle pose sur ce monde-là un regard romanesque. Un Adam 1er, par exemple, se répand en sermons stupéfiants. La politique, la science et la police se sont unies pour engendrer la catastrophe, et une secte d’illuminés écolos revisite les récits fondateurs de la Bible à sa sauce. Le lecteur découvre qui devient Judas, et qui joue les Madeleine.
 
Tout récit décrivant la fin d’un monde et l’avènement d’un nouveau est une satire du monde contemporain. Une satire politique, économique et sociale. Margaret Atwood regarde nos excès – le végétarisme à outrance comme les manipulations génétiques – avec humour et provocation. Notre monde agonise, semble-t-elle nous dire, et un sursaut serait le bienvenu. Sinon… Les récits au présent de Ren et Toby seront notre avenir. Dans les flashbacks du roman, qui exagèrent notre présent, l’emploi des temps du passé sonne comme un avertissement.
 
La théologie verte des Jardiniers de Dieu place l’écologie sur le terrain de la foi. Il y a sans conteste plusieurs angles de lecture de ce roman. Pour ma part, je choisis l’angle de l’exercice de style sur le sujet rebattu de la fin des temps, de l’eschatologie. Et, à tout prendre, je préfère les doux dingues personnages du Temps du déluge à ceux de La Route. Là où McCarthy semble ne laisser aucun doute quant au postulat de base – la fin du monde a déjà eu lieu –, Atwood oppose une once d’espoir – nous pouvons éviter la catastrophe.
 
 
Extrait :
 
« Le lendemain matin, quand on s’est réveillés, un gigantesque cochon se tenait sur le seuil et nous fixait en reniflant l’air de son groin rose et humide. Il avait dû entrer par la porte et remonter le couloir. Quand il s’est vu repéré, il est parti en courant. Peut-être qu’il avait senti les SecretBurgers rôtis, a dit Shackie. Selon lui, c’était une espèce transgénique – MaddAddam s’était informé –, avec du tissu humain dans la cervelle ». (éd. 10/18, p. 482-483).

Christine Bini 
(18/11/14)    
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Lectures








10/18

(Octobre 2014)
624 pages - 9,10 €

Traduit de l’anglais
(Canada)
par Jean-Daniel Brèque








Margaret Atwood,
née en 1939 à Ottawa, auteur d'une quarantaine d'ouvrages, a reçu de nombreuses récompenses dont le Booker Prize.


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