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Bernard PIVOT


Au secours ! Les mots m’ont mangé


Cette « conférence-performance » pleine d'humour a été écrite pour être jouée sur scène. « Ayant le projet d’une série de spectacles sur le thème du langage, Jean-Michel Ribes m’avait demandé une contribution pour son théâtre du Rond-Point. Ce que je fis, y trouvant bien du plaisir. »

Bernard Pivot se glisse dans la peau d’un écrivain (reçu à Apostrophes et lauréat du prix Goncourt) pour évoquer son rapport avec les mots au fil de sa vie, du premier babil au dernier souffle et chaque étape est l’occasion de nous faire sourire ou réfléchir.

N’ayant pas souvenir d’avoir été plus brillant qu’un autre, oralement parlant, au moment de sa naissance, il rappelle que même un fils de Dieu n’a pas fait mieux, sans doute pour ne pas effrayer ses parents. « Et le premier miracle de Jésus, tout d’humilité, c’est qu’au lieu de prononcer ce qu’on aurait appelé "le sermon de la crèche", il s’est contenté, comme nous tous, de vagir. »

L’auteur évoque ensuite son apprentissage de la lecture et de l’écriture et sa passion pour les mots et pour les dictionnaires. « Mes camarades s’évadaient à travers des photographies, des cartes postales, des films. Ils avaient besoin d’images. Moi, j’avais besoin de mots. » Y compris tous les gros mots présents dans le Petit Larousse. « Je sentais bien que ce sont des mots qui donnent plus rapidement du poil au menton. Les gros mots vous font grandir plus vite que les autres. » Mais les noms propres ne le laissaient pas indifférent non plus et l’auteur en cite plusieurs qui l’incitaient au voyage imaginaire.

L’écrivain aborde les débuts de sa vie amoureuse et la nécessité d’y briller aussi par le langage. Comment ne pas se contenter de dire « je t’aime » et comment échapper aux surnoms bêtifiants utilisés par la majorité des couples ? Il lui fallait de l’original, du ciselé, du réfléchi... et cela donne quelques pages aussi enflammées qu’humoristiques.

Parlant des femmes, il ne peut éviter un chapitre sur la misogynie de la langue française où le masculin l’emporte si souvent sur le féminin. Il s’y déclare favorable à la féminisation des substantifs (écrivain / écrivaine) même si cela peut parfois prêter à confusion. "Qu’est-ce que les gens vont comprendre si je dis ou j’écris : Il faisait froid à Compostelle, et des centaines de pèlerins serraient leurs pèlerines..." ? »

Et sa vie défile ainsi. L’écriture du premier roman, les journées à batailler avec les mots, les nuits sans trouver le sommeil. L’entretien d’embauche pour le comité de rédaction du Petit Larousse où ses propositions pour apporter un peu de cohérence à l’écriture de certains mots n’obtiennent pas le succès escompté mais nous font bien sourire.

Et puis, c’est le succès, le passage à Apostrophes où malheureusement, entre Roger Peyrefitte et Jean d’Ormesson, il n’a guère l’occasion de briller. Au point qu’à la sortie, l’éditeur, qui avait lancé l’impression de dix mille exemplaires supplémentaires, conclut qu’il s’agit en fait d’une « catapostrophes » !  Fort heureusement, le prix Goncourt lui apportera de plus grandes satisfactions...  et l’accompagnera toute sa vie. « Impossible de parler de moi sans qu’il soit mentionné que j’ai eu le prix Goncourt. C’est une marque, c’est une référence, c’est un label, c’est un poinçon, c’est un blason. »

C’est au moment du bilan de sa vie que le titre du texte prend tout son sens. L’auteur a le sentiment de s’être laissé envahir par les mots. Comme les chaises de Ionesco, les mots et les livres se sont amassés autour de lui au point de l’asphyxier. « Les livres sont d’implacables envahisseurs. »

Même à la fin de sa vie ou au seuil de l’au-delà, l’écrivain, ne peut s’empêcher de réfléchir à la manière de ne pas rater sa dernière phrase et à la façon de s’exprimer devant Dieu s’il existe...

 Au fil de toutes les étapes de l’existence de cet écrivain imaginaire, Bernard Pivot s’amuse et nous amuse en jouant avec les mots et les expressions, en mettant en scène des dizaines de situations où la langue permet de briller ou de se planter, montrant ainsi qu’elle est capricieuse et ne se laisse pas toujours manœuvrer aisément...
Une saine lecture et un grand moment de plaisir. À lire et à regarder puisque le DVD du spectacle est vendu avec le livre.

Serge Cabrol 
(07/04/16)    



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Lectures








Allary

(Avril 2016)
Livre + DVD
110 pages - 18,90 €











Bernard Pivot
au Théâtre du Rond-Point