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Roger BÉTEILLE


Le chien de nuit


On peut tout d'abord être dérouté par le style ultra classique de ce récit au passé : longs imparfaits descriptifs tranchés par d'actifs passés simples et émaillés de dialogues au présent sec.

Le crépuscule précoce abolissait l'horizon de ses gris blanchâtres. Les pierres ourlées perdaient leur finesse de dentelles minérales. Des vols de corneilles fonçant vers leurs aires survolaient l'attelage. Il y avait une sorte de gravité dans cette préparation de la nature à la nuit.
– Il fait déjà très froid. Je ne sais pas où vous allez, mais vous ne pouvez pas reprendre les bicyclettes, décida Amat.

Ou on renonce ou on est pris par ce récit apparemment passéiste qui va à la fois ressusciter l'isolement, la rugosité, l'immobilisme de la vie paysanne sur ce Causse Noir aveyronnais, l'extrême retenue sentimentale de ses habitants, la répétition ancestrale de leurs gestes liés indéfectiblement à la terre et aux saisons et en même temps montrer les premières fissures que la guerre de 14, énorme séisme, commence à causer au monde paysan. Amat, fils unique du domaine de Roqueserre, revient de guerre et rentre chez lui. Avec lui, on retourne un siècle en arrière. La Grande Guerre l'a apparemment épargné. Sa mère a conservé le domaine intact et même su le faire fructifier. Mais si les blessures d'Amat ne sont pas apparentes, le chien qui l'accompagne, témoin de l'enfer que toute une génération d'hommes a vécu, est peut-être le signe avant-coureur que plus rien ne sera comme avant, qu'on ne peut revenir à sa place comme si rien ne s'était passé.

Comme Roger Béteille l'explique dans une interview, Le chien de nuit est construit sur la figure du double, de la paire établie sur les réalités du quotidien, du travail, de l'intérêt du domaine. Les plus remarquables exemples, comme une survivance du moyen-âge, sont les couples maîtres-serviteurs : la maîtresse de cette ferme forteresse, Hermance, la mère d'Amat, et son valet dévoué, Caumet ; la première servante, Daria, sur qui repose la bonne ordonnance du domaine et Darius, le compagnon fidèle d'Amat, le chien qui l'aidait à retrouver les soldats ensevelis quand il était brancardier. Puis, les doubles liés à la guerre : Amat et son chien, Amat dont l'infirmité ne se voit pas et son copain, soldat rentré au pays comme lui, mais une jambe en moins. Puis les femmes que rencontrent Amat : les institutrices, des jumelles qui s'aiment et s'épaulent dans leur travail et dans leur isolement, ce sont des étrangères, elles ne sont pas du causse ; les fiancées d'Amat, la première, la voisine, celle dont le domaine agrandirait celui de Roqueserre et la seconde, trouvée par un marieur, une servante qui, si elle faisait l'affaire, pourrait devenir la Maîtresse du domaine… Mais les poumons gazés d'Amat, une paire qui ne fonctionne plus bien, vont défaire cette belle ordonnance.

C'est cette alchimie entre pérennité et déconstruction d'un monde qui fait le charme de cette histoire où la nouveauté, finalement, ne réside pas seulement dans l'arrivée à l'ostal d'une moissonneuse-batteuse !

Sylvie Lansade 
(10/04/14)    



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Lectures







Éditions du Rouergue
(Mars 2014)
336 pages - 17 €





Roger Béteille

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