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Hélène BRISCOE

Paris contre Paris


Charles Baudelaire nous prévenait déjà : La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur d'un mortel. Pourtant la poésie qu'inspire la capitale, de Villon à Réda, ne semble pas s'épuiser. La nostalgie des uns renvoie par un jeu de miroirs à celle des autres. Paris est une ville où le temps peut se briser comme un éclat de rire et nous laisser entrevoir en enfilade des couches du passés mêlés à notre mouvant présent. Si notre cœur de flâneur reste fidèle aux émouvantes promenades dans Paris, ce Paris change lentement, je dirais même, à quelques exceptions près, imperceptiblement. Ainsi, si au détour d'une rue oubliée où nous n'allions plus depuis longtemps, négligée dans nos parcours quotidiens, apparait une boutique qui n'existait pas auparavant ou l'emplacement d'une enseigne que nous ne retrouvons plus, nous savons absorber ces changements ces modifications pour les assimiler à notre nouveau Paris. Paris change ! mais rien dans ma mélancolie/N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,/Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,/Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs, nous confie encore Baudelaire.

Dans Paris contre Paris, Hélène Briscoe nous parle de ces transformations que la palette grise de Paris sait cicatriser et fondre dans son nouveau paysage urbain comme sur une vieille photo où certains détails se sont gommés en laissant intacte l'apparence de la ville. Des transformations lentes telles que la disparition des stations-services intramuros, ces stations-services à présent alignées au ras de la chaussée, parfois loin de la boutique qui fait alors mine de les ignorer, les pompes tiennent raides sur le trottoir leurs silhouettes de braves robots d'autrefois, yeux grands ouverts, oreilles décollées, bardées d'autocollants rongés et de chiffres qu'on s'est lassé de corriger ou des 'Pili' Plans Indicateurs Lumineux d'Itinéraires, dont le fond de carte se décline en teintes de gris qui distinguent subtilement les différentes strates d'arrondissements. Des gris tout à fait volontaires, d'un temps où les cartographes officiels cultivaient volontiers la littéralité : à ville grise, plan gris ; mais aussi des transformations brutales telles la nouvelle Place de la République livrée aux piétons On croyait la métaphysique occidentale travaillée par l'horreur du vide. Mais là, bien au milieu de la place, le néant se coulera jusqu'au trottoir, jusqu'au prochain pâté de maisons, même… ou les Boulevards des Maréchaux creusés à présent dans leur plus grande partie par le tapis vert du tramway ; après la porte des Lilas et l'accent circonflexe d'une "Zône militaire" gracieusement offert par la DGSE, commencent les bandes gazonnées, genre de moquettes d'herbe qu'on a déroulées entre les rails, et qui, plus bas, peut-être vers Montreuil ou Vincennes, ont déjà brûlé sous un soleil qu'on n'attendait plus.

D'une belle plume et avec tantôt une réelle nostalgie tantôt un regard sévère, Hélène Briscoe nous promène en quatorze chroniques dans le paysage urbain toujours mouvant et pourtant éternel de notre Paris. Quatorze chroniques qui semblent peut-être représenter les quatorze stations du chemin de croix de notre ville.

Ces chroniques ont été publiées entre 2011 et 2012 dans le magazine Le Tigre édité par la maison d'édition du même nom et ne représentent qu'une sélection de la rubrique "Topographie ! Itinéraire !" du magazine, rubrique qu'Hélène Briscoe tient depuis sa création (vous pouvez retrouver quelques-unes d'elles sur le site www.le-tigre.net). Elles ne sont pas sans me rappeler celles qu'Henri Calet a réunies dans Les grandes largeurs ou Les deux bouts ce dernier ouvrage publié par Gallimard en 1954 n'a toujours pas, hélas, à ma connaissance été réédité.

Si vous êtes actuellement en villégiature sur les plages de France et que vous désirez avoir quelques nouvelles de Paris, la lecture de Paris contre Paris vous offrira une belle carte postale avec au verso quelques mots sur ses états d'âme et ses maux de vieille dame.

David Nahmias 
(23/07/13)    



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Le Tigre

64 pages – 6 €