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Antoine CHOPLIN

Une forêt d'arbres creux


L'action se déroule en 1941.
Bedrich Fritta, caricaturiste au journal Simplicus, est déporté dans la ville-ghetto de Terezin (Teresienstadt) avec sa femme et son fils âgé d'un an à peine. Le couple est immédiatement séparé, le fils restant avec sa mère du côté des femmes.

Dès son arrivée, l'homme est affecté au poste de chef du  bureau technique chargé d'élaborer des plans pour les projets allemands en cours, notamment un futur crématorium. Une étude lourde de sens et de culpabilité pour cette quinzaine de prisonniers, issus du monde artistique mais incompétents en architecture, qui se retrouvent ainsi indirectement contraints à collaborer aux atrocités commises par les nazis contre les leurs.
En réaction, une part des dessinateurs se retrouvent clandestinement la nuit pour croquer en toute liberté la réalité du camp et de ceux qui s'y trouvent enfermés : la misère, la promiscuité et l'empilement, la maladie, le froid, la surveillance et le risque permanent d'être transféré dans un camp d'extermination. Des témoignages poignants et accablants, dissimulés dans le trou d'un mur de leur salle de dessin, pour crier la vérité de Terezin face à la mascarade orchestrée par le troisième Reich avec ce camp "modèle" aux façades repeintes, avec ses faux commerces, ses parties de football entre enfants et ses spectacles musicaux fabriqués de toutes pièces pour être présentés à la Croix-Rouge et autres instances internationales lors de leurs visites.
Une forme artistique de résistance que Fritta partageait avec de nombreux autres artistes juifs regroupés là (notamment l'illustrateur Leo Haas qui publiera ses dessins après guerre) au risque d'être condamné à une exécution  immédiate ou à un aller sans retour pour Auschwitz en cas de découverte.
 
      Ceci n'est pas un énième livre sur les camps. Évitant de s'appesantir sur le destin de ceux qui se trouvent parqués là dans la terreur d'y mourir à petit feu ou d'en sortir en train pour le néant, avec la faim, la fatigue, la souffrance qui transpirent dans l'ombre pesante des barbelés, Antoine Choplin choisit d'évoquer Terezin au travers du destin et du travail d'un personnage réel, le dessinateur Bedrich Fritta interné là de 1941 à 1944.  En cela, comme dans Le héron de Guernica ou Radeau, l'auteur s'empare de l'Histoire pour affirmer l'utilité et la suprématie de l'Art,  comme un espoir, une résistance, un avenir, face au chaos de la guerre, à l'inhumanité. Ne pas occulter l'horreur des destructions commises par les hommes mais leur opposer la beauté et la force de la vie réinventée par le regard de l'artiste.

Le récit, probablement inspiré des dessins du dessinateur (on peut en trouver un panel sur Wikipédia à la notice  rédigée sur l'artiste), s'articule autour de courts chapitres, focalisés chacun sur une scène évoquant ces instants de vie dérobés par lui et ses compagnons à leurs bourreaux à l'occasion des concerts, des lectures poétiques, de la chorale qui y sont autorisés pour donner le change. En écho aux traits noirs et épais du dessinateur, Choplin dit ici le quotidien, la souffrance et la lutte d'hommes, de femmes et d'enfants  (alors que les « hommes en uniformes » sans nom et sans voix, ne sont plus présents comme des individus mais comme les rouages d'une machine folle) plus que la barbarie qu'ils subissent. Des évocations comme des esquisses, semblables à des croquis volés in situ dont l'authenticité bouleverse, qui constituent comme une fresque impressionniste plus éloquente que ne l'aurait été une reconstitution par la fiction.
Et, puisque la tragédie et l'horreur de la Shoah parle d'elle-même, c'est avec une extrême simplicité, avec finesse, pudeur et humilité, que l'auteur pose ses mots au plus près de l'émotion.
Et une fois encore, la petite musique si particulière qui est sa patte, tissée d'images, de silences et de non-dits, nous entraîne sans détours vers l'essentiel. 

Peut-être faut-il voir aussi dans ce texte un écho et un hommage aux caricaturistes de Charlie, tombés pour le combat qu'ils menaient contre l'obscurantisme avec leurs crayons.

 Un texte fort et poignant que sa sobriété rend lumineux.

Dominique Baillon-Lalande 
(19/11/15)    



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Lectures



La fosse aux ours

(Août 2015)
120 pages - 16 €



Points

(19 janvier 2017)
120 pages - 5,90 €







Antoine Choplin,
né en 1962, vit dans l'Isère. Depuis 1993, il a publié une quinzaine de livres dont certains ont été repris en collections de poche.





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L'impasse


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Le héron de Guernica


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