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Roger DES ROCHES

La cathédrale de tout



Roger des Roches est un poète québécois né en 1950. Il a derrière lui une œuvre poétique déjà importante – on serait tenté de dire "impressionnante" – et toujours il va de l'avant. Parfois, sur la grande toile du web, il nous montre une photo de son travail en cours : un carnet noir à élastique, et un feutre. Il écrit. C'est par La Cathédrale de tout que la lectrice entre dans son œuvre. Et c'est comme un choc.

La cathédrale induit la pompe et les ors, du moins sous nos climats. Pas l'église romane, non, pas la cellule du mystique retiré. Mais l'évêque, les broderies, l'encens et la foule. Ce titre, Cathédrale de tout, intrigue. Cathédrale de mots, pour un recueil, allait presque de soi. "Cathédrale de tout" suppose, d'emblée, la transcendance et la globalité. En 51 fragments réunis en "Histoires, histoire", c'est une aventure qui nous est contée. Du premier vers « Ils ont des yeux, et j'apprends à voler » au dernier « Oui, oui, dis-tu, diras-tu, toutes les lettres sont a » on traverse un monde incroyable de sons et d'images. La poésie, quoi. Qui finit à l'alpha.

C'est de l'Homme qu'il est question dans ces pages. Un Homme à majuscule et un homme singulier qui semble se découvrir lui-même. « Ces parts crues de moi, les jus naïfs, le découvreur, / ces chandelles gravées à mon odeur » : dans ces pages, il y a un mystère à pénétrer. Un secret qui aurait été tu, scellé, et que les mots du poème s'emploient à dévoiler : « Professeur attention / On ramène, je ramène les tous les uns, le manuel ». On croise, çà et là, les mots "ange", "foi", "cieux", mais ce n'est pas autour d'eux que se construit la cathédrale de Roger des Roches. Sa cathédrale est à la fois désacralisée et re-sacralisée. Comme un monument historique écorché rendu à la vérité humaine. Une vérité sociale (« Je démarche-du-crabe / dans ces usines ventrues où vit le fort »), désespérément humaine (« "J'aime ton cul." / Une rue, un trottoir, un passant ») se fait jour entre les aspirations à la transcendance et la quête philosophique (« Penser que le sang est un homme »). On suit, fragment après fragment, la trajectoire d'un éveil. D'une Histoire.

En poésie, le sens caché est polyphonique. La manière de Roger des Roches, dans ce recueil, est proche de celle des surréalistes – plus que des symbolistes. Un allant d'écriture automatique, peut-être, d'où naît la surprise (« Boire des idées. J'ai bu ») qui évoque sans dénoter. Une recherche de l'image bizarre (« les oiseaux éclatés / des os de politique ») qui n'est pas la métaphore mais presque le collage. Dans tous les cas, même sans caractérisation formelle ou d'école, la recherche poétique semble ici aller de soi, donnée mais travaillée et retravaillée (on n'en doute pas un instant), offerte au lecteur parfaitement fluide. Allant de soi. Mais on sait ce qu'est le travail des mots. L'édification de cette cathédrale.

51 fragments comme les 51 premières semaines de l'année. Que se passe-t-il la 52e ? Se repose-t-on ? Non. Le dernier pan du recueil, intitulé "Cathédrale soufflée", est un texte compact, haletant. On se sent traqué. On sent le poète traqué, autant par les mots qui enjambent la grammaire canonique que par les révélations qui soudain l'assaillent. Ce dernier pan est une apocalypse. Une annonce de fin du monde et une révélation des temps à venir. Les 51 fragments conduisent à une certitude terrifiante : l'homme est un gibier (« Oui, c'est ça, la chasse »). Mais qui le traque ? Le temps, sans doute. Le temps de l'Histoire et le temps de la vie humaine. Tout ce qui a été vécu devient cauchemar évident, et c'est demain que tout commence, vraiment : « Peur encore, et ce sera la naissance ». Le résurrection, tout à coup, presque sans foi ni loi, rend son lustre à la cathédrale, qui de "soufflée" se retrouve "divisée dans les chuchotements". C'est là sans doute qu'il faut "chasser" la métaphore. Pierre après pierre, édifier, abattre puis reconstruire, ce qui fait l'Homme.

Christine Bini 
(23/11/13)    
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/



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Poésie








Les Herbes Rouges
80 pages - 13,60 €











Roger des Roches,
né à Trois-Rivières en 1950,
a publié une trentaine de livres, surtout de la poésie, mais aussi, depuis 2002,
des romans jeunesse.


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de l'auteur :
www.roger
desroches.com