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Erwan DESPLANQUES


Si j'y suis




Cet été-là sera marqué pour Jacques, correcteur dans un journal à Paris, par la maladie, la déchéance physique et la mort de sa mère. Une femme qui l'a élevé seul, dont il est toujours resté proche sans jamais parvenir à s'en libérer complètement.
"De l'enfance, je gardais le sentiment d'avoir tout bien fait et d'être coupable malgré tout."

Dévasté par la douleur et son impuissance face à la fin programmée de sa mère, il décide de partir quelques jours "là-bas", dans cette station balnéaire des Landes où il passait ses étés avec elle. Là où vit encore aussi Marion, son ex-femme.
"J'observai la mer et songeai au manque que la plupart des gens venaient combler ici, chaque année, à la même saison, en pratiquant des activités nouvelles, en contemplant les vagues, eux aussi, jusqu'à l'étourdissement."
"Le ciel ne semblait pas peser lourd. Je n'avais pas d'idées sur la suite des événements. Tout juste quelques intuitions dont je soupesai la portée avec calme. Jusqu'au ponton, me dis-je. Et, discipliné, je marchai jusqu'au ponton. Marion finirait bien par me retrouver, par reconnaître mon pas, ma silhouette. Je savais à quel point il était capital de la revoir après toutes ces années, loin de ma mère dont l'épreuve me dévastait."
"J'étais venu au bord de la mer pour me changer les idées. Mais on ne change jamais d'idées. On change de climat, de vêtement, jamais d'idées."

Mais le passé ne se rattrape pas et Marion, ne comprenant pas pourquoi il est venu (le sait-il lui-même ?), n'a plus de place pour lui dans sa vie. Le pèlerinage tourne court et ne lui offre aucune consolation. Il se retrouve seul, errant sur la plage.
"Je me demandais surtout si j'étais vraiment venu retrouver Marion ou si, égoïstement, je n'avais pas cherché à me retrouver moi-même dans le miroir qu'elle me tendait. Un miroir dans lequel j'apparaîtrais plus jeune, accort, sans réelles illusions, mais sans cynisme non plus."
Son isolement n'est troublé que par les appels à répétition de celle pour laquelle il a quitté Marion. "L'Italienne m'avait laissé plusieurs messages. Dans le premier elle m'insultait. Dans le second elle s'excusait. Dans le troisième, elle se taisait. Je reposais le téléphone sur mon lit."
Son ex lui demandera finalement de repartir.

Le chapitre "ici" se passe à Paris, où Jacques partage son temps entre le journal et l'hôpital. C'est dans les rues et les bars qu'il laisse libre court à son errance. Un soir, il se laisse convaincre par un collègue qu'il connaît mal, de l'accompagner à un match de football. Un vrai moment de camaraderie masculine qui lui fera du bien. Mais, il s'avère vite que celui avec lequel il va prendre un verre à la sortie du travail, est un alcoolique moins serein qu'il n'y paraît : "Mes filles m'aiment quand je suis saoul, sinon je les ennuie. Ma femme aussi.", lui avouera-t-il un soir.

"Ailleurs", c'est, pour Jacques, la page qui se tourne avec la mort de sa mère. Enfin libre de prendre sa vie en main, il décide de couper tous les liens qui le retiennent en France et de partir loin, "ailleurs au milieu de choses qu'on ne sait nommer", pour oublier, s'oublier ou se trouver, selon. Ce sera à Hanoï qu'il trouvera une nouvelle approche, plus légère, de l'existence. Il se laissera même entraîner par une adolescente, provocatrice et ivre, à une folle virée nocturne en mobylette à destination de la mer…

L'auteur, en trois tableaux d'une centaine de pages au total, plus qu'il n'esquisse un être ou ne raconte les étapes charnières d'une vie, incarne la fragilité des êtres, le manque et l'errance.
Il choisit l'évocation plus que la description pour faire exister ses personnages périphériques en quelques traits : l'ex-femme solaire et énergique dont Jacques découvre par bribes la nouvelle vie ; la mère qui lentement glisse, physiquement et psychologiquement, vers la mort ; le collègue Denis et son addiction pour l'alcool ; l'oncle confit dans la religion.
Jacques, lui, est flou. Perpétuel spectateur de sa propre vie, il se laisse porter par les évènements comme Meursault dans L'étranger de Camus. Dévasté comme lui par la mort de sa mère, il flotte, "là-bas" et "ici" au gré des attentes et décisions des autres sur une mer de solitude, d'incertitude et de désenchantement. Il peine à être, ballotté entre rêve et désillusion, mélancolie et souffrance, envies et peurs. Des sentiments extrêmes qu'il a toujours fuis, paralysé par le doute et le manque d'assurance. Bridé par une mère omniprésente, aussi ?
Il n'y a qu'après sa mort, "ailleurs", qu'il pourra espérer naître enfin à la vie et à lui-même.

Mais l'auteur pour éviter de plomber l'atmosphère et son lecteur, aime à jouer du décalage absurde et dote son héros d'une aptitude à l'autodérision, d'une propension à voir le comique dans certains détails, comme une échappatoire à la douleur, une stratégie salutaire, venant corroborer son étrangeté. Telle, la phrase d'introduction au séjour à Hanoï : "Il n'est jamais anodin d'avoir un buffle à côté de soi."

L'écrivain, d'une écriture fluide mais épurée voire minimaliste, à demi-mots et avec des phases courtes, portée par un rythme soutenu, émaille son récit de sensations, nous immerge dans des ambiances, pour en faire jaillir une mélodie pleine d'émotion entre douceur et douleur. Tout cela avec une hypersensibilité aux décors (avec une mention spéciale pour les plages) mais aussi aux objets ou aux visages, qu'il restitue par petites touches, de façon impressionniste. Parfois, au détour d'une phrase, la tension monte et s'arrête net, comme un sursaut, une fulgurance vitale qui ne parvient jamais à se concrétiser.

La force de ce triptyque non-conventionnel réside dans son ton, ses nuances, sa modestie.
Ce récit où la mort est omniprésente, évoquée avec lucidité et justesse, ne bascule jamais dans l'introspection apitoyée, le tragique ou la sensiblerie mais se trouve empreint d'une pudeur en adéquation totale avec ce personnage aussi absent et décalé que celui d'Albert Camus. En douceur et délicatesse, Jacques nous renvoie à nos propres interrogations, à notre intimité, en toute discrétion, et on s'y laisse prendre.

A déguster avec lenteur.

Dominique Baillon-Lalande 
(18/05/13)    



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Editions de l'Olivier

(Janvier 2013)
112 pages - 12 €












Erwan Desplanques,
né en 1980, est journaliste à Télérama. Si j'y suis est son premier roman.



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