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Alaa EL ASWANY

Automobile Club d'Égypte


Alaa El Aswany nous révèle souvent la société égyptienne à travers un lieu donné, par exemple : l'immeuble Yacoubian au Caire pour son roman éponyme.
Ainsi, son dernier opus, Automobile Club d'Égypte paru chez Actes Sud, nous entraîne au cours de la première moitié du XXème siècle à l'Automobile Club d'Égypte, casino prestigieux du Caire, désormais disparu et dont l'enseigne d'origine portait le nom exact de "Royal Automobile Club d'Égypte".

Dans les années quarante et jusqu'à la prise de pouvoir des généraux (ceux de 1952, bien entendu !), l'Automobile Club d'Égypte était fréquenté uniquement par des occidentaux principalement britanniques (honneur à l'occupant !), mais également par la haute bourgeoisie égyptienne et évidemment par son monarque le Roi Farouk, ses pachas et sa cour.
Pour ne pas officiellement avouer l'interdiction au peuple égyptien de pénétrer dans ce sanctuaire, la direction du Club autorisait leur présence dans le cas où celle-ci était cautionnée par au moins deux membres du Conseil d'Administration, autant dire qu'il était quasiment miraculeux d'obtenir ce passeport.

Métaphore de la société égyptienne de cette époque, l'Automobile Club d'Égypte, tel un paquebot naviguant sur la ville grouillante de cette population cairote à la démographie galopante*, possédait son amiral en la personne de James Wright, représentant de Sa Majesté Royale d'Angleterre, et son capitaine, le tyrannique Al-Kwo : c'est comme cela que ça se prononce. Un seul souffle du fond de la gorge en ouvrant la bouche et en arrondissant les lèvres. En nubien ce mot veut dire "le chef" ou bien "le grand", mais à l'Automobile Club il évoque quelque chose d'encore plus considérable. Là, Al-Kwo est un être de légende, un oiseau fabuleux, proche et lointain.
On trouve également à son bord des lieutenants : le Maître d'hôtel, le Maître de la salle de jeu, le Barman en chef et le Responsable de la réserve générale. Ces lieutenants, soumis à Al-Kwo comme un seul homme, lui versent sans rechigner un pourcentage non négligeable de leurs pourboires et des gains de leurs malversations.

Sous les ordres de ce cartel de dignités plus ou moins honorables, viennent les serviteurs, une armée de serviteurs recrutés avec des critères dont la logique tient du cornet à dés et dont le principal souci consiste à ne pas perdre leur emploi.
À la moindre faute commise par l'un d'eux, tombe le châtiment, un châtiment pour la plupart du temps corporel et administré par l'homme de main d'Al-Kwo ; châtiment corporel que chacun accepte sans se plaindre de peur de perdre sa place, un peu comme de nos jours on accepte le harcèlement d'une hiérarchie sans scrupules pour ne pas se retrouver demandeur d'emploi.

Sous les coups d'un de ces châtiments, Abdelhaziz Hamam, portier du Club par infortune, mourra. Abdelaziz issu d'une grande famille de la Haute-Égypte, riche terrien ruiné par sa trop large bonté, n'avait rien dans son caractère et dans son éducation du valet ni du larbin qu'il tentait de devenir pour nourrir et assurer l'éducation de ses enfants. Le peu qu'il lui restait de fier dans l'allure et de noble dans le regard agacera Al-Kwo au point de le punir à mort.
Ce décès constituera l'étincelle qui déclenchera une sourde révolte à bord de l'honorable Automobile Club d'Égypte.

À travers le destin de la famille d'Abdelhaziz Hamam, après le décès du père, et de ce Casino fréquenté par les dignitaires corrompus du pays et le Roi Farouk (souverain fantasque et jouisseur), c'est un peu l'histoire de l'Égypte et des Égyptiens d'aujourd'hui dont Alaa El Aswany nous parle.
Lors de la présentation de son nouveau roman à la "Maison de la Poésie" de Paris, El Aswany déclara qu'un écrivain ne peut être d'accord avec le monde qui l'entoure ; s'il l'était, il n'écrirait pas ! Il ajouta même : la littérature peut nous changer…
Oui, la littérature est une arme qui ne sait atteindre qu'à bout portant, lorsque nous sommes penchés sur les pages de ses livres.

Dans la lignée de Naguib Mahfouz (Prix Nobel de littérature 1988, le premier de langue arabe), Alaa El Aswany accomplit d'ouvrage en ouvrage une Œuvre (c'est moi qui souligne) qui restera pour l'Égypte et les Égyptiens aussi importante que celle de Zola ou de Balzac pour nous autres Français.

Pour dire quelques mots sur la traduction par Gilles Gauthier de Automobile Club d'Égypte, il faut rappeler qu'El Aswany, comme beaucoup d'Égyptiens de sa génération, est parfaitement francophone mais qu'il laisse toute liberté à son traducteur** d'accomplir sa tâche sans jamais s'immiscer de quelque manière que ce soit dans son travail.

Vous qui avez eu tant de plaisir à lire L'Immeuble Yacoubian, je sais que vous vous êtes déjà précipités chez votre libraire pour découvrir Automobile Club d'Égypte. Pour ceux qui ne connaissent pas encore l'univers d'Alaa El Aswany, vous pouvez le découvrir par le chemin inverse : d'abord par l'Automobile Club puis, j'en suis persuadé, par L'Immeuble.
Et n'oubliez pas, la littérature peut nous changer !

* Pour information, en ce début du XXIe siècle, les moins de 30 ans représentent 67 % de la population du pays.
** L’ensemble des ouvrages d’Alaa El Aswany a été traduit en français par Gilles Gauthier.

David Nahmias 
(06/03/14)    



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Lectures









Editions Actes Sud

544 pages - 23,80 €



Traduit de l'arabe (Egypte)
par Gilles Gauthier








Alaa El Aswany,
né en 1957, exerce le métier de dentiste au Caire.





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