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Caroline FABRE-ROUSSEAU


Café zébré, thé à la menthe



C’est un roman en deux parties presque égales, «Là-bas » et « De l’autre côté », agrémentées de courtes définitions, ici et là, qui soulignent les intentions explicatives de l’auteure.
Ainsi dans la première partie :
 « Burn out : syndrome d’épuisement professionnel/combustion. Vient de l’anglais to burn out : claquer, s’éteindre (moteur, ampoule). »
« Ménage : vient du latin : manare : demeurer, séjourner. »
Et dans la deuxième :
« Dispensaire : établissement de bienfaisance où l’on donne des consultations, des soins et où l’on distribue des médicaments aux malades indigents. »  

Une histoire bien actuelle, un retour sur des évènements dramatiques, des histoires singulières.

Dans une clinique, une femme soigne sa dépression, ou plutôt son burn out. En effet, Clémence a lâché les rênes de l’équipée familiale qu’elle tenait jusque-là. « Séparée des siens, séparée de tout ce qu’elle a de plus cher au monde. Combien de temps ? Va-t-elle finir comme Camille Claudel cloîtrée jusqu’à sa mort ? […] Il faut qu’elle sorte d‘ici le plus vite possible. Elle va jouer l’élève modèle, elle connaît. Elle l’a toujours été. Elle s’est donnée corps et âme à ses études puis à ses élèves, puis à ses enfants. […] Elle a tellement honte d’être là. »

La vie de Clémence : ses parents, trois enfants, et un mari qui risque à son tour d’être poursuivi par cette fameuse maladie. Il résiste mais, ironie du sort, il doit justement « prévenir » les problèmes sociaux du personnel de son entreprise !
« Il vit dans un vertige la machine à café de Klug Processeurs, les taches sur la moquette usée au fond du couloir mal éclairé dont les néons vacillaient et accentuaient les traces de fatigue sur les visages de ses collègues, il vit les sourcils froncés de Jean-Pierre et une bouffée de panique lui contracta le ventre. »

L’auteure nous brosse un tableau lucide, quasi exhaustif, de certains problèmes de notre époque : ses mal-êtres, ses petites ou grandes déceptions liées à un quotidien qui s’avoue subi alors qu’on l’imaginait choisi ; avec les « épuisements » enclenchés sans que leurs origines soient repérées à temps ; le racisme ordinaire, les mesquineries diverses, les petites violences… Du banal en somme. Or, ce roman nous en parle avec les mots précis d’une femme sensible, qui ressent, commente, et démontre certaines logiques, ses propres « travaux pratiques » à l’appui.
Car dès le début le lecteur a cette sensation de « vrai » comme si les descriptions arrivaient directement des images et des souvenirs personnels de l’auteure ou de son entourage.

Dans cette première partie, autour de la famille de Clémence, des personnages vont prendre progressivement de l’importance. Ainsi Mme Calvetti, responsable d’un service d’aide-ménagères, et surtout Halima, envoyée par son association aider Clémence à sa sortie de la clinique. Ces deux femmes et leurs proches vont nous amener à la deuxième partie qui se déroule au Maroc : « De l’autre côté »  de la Méditerranée.
Car, tout le monde est invité au mariage d’Halima, parents et amis compris. « Une princesse des mille et une nuits a remplacé la femme de ménage : la peau brune a pâli sous le fond de teint, on a lissé et torsadé les cheveux, ourlé les yeux de khôl, maquillé les paupières et la bouche. Une odeur de poudre de henné et de citron flotte sous la tente. Aux pieds des mariés sont posés une tasse de lait, des dattes et des œufs durs. La nekkacha fait signe aux enfants d’approcher. Elle dessine une fleur sur le bras de Zélie et un œil à l’intérieur de la paume des garçons. »

Hasard (?) intéressant, le père de Clémence est né et a vécu à Meknès. Ce dont il ne parle jamais. Et c’est alors que nous apparaît en pointillé, comme un fil conducteur bien invisible jusque-là, le secret du père de Clémence. Quel lien y aurait-il avec les massacres qui se sont déroulés à Meknès en 1956, et qui semblent avoir été effacés de l’histoire, cette période troublée ayant laissé enfouir ce qu’elle ne pouvait supporter de montrer ?
Serait-ce un « chaînon manquant » dans l’histoire familiale de Clémence ? Pourrait-il éclairer sa fragilité ? C’est une possible lecture de ce roman.

Ainsi les découvertes, les paysages, comme les ambiances locales  de la région vont s’articuler, avec les émotions de ces visiteurs particuliers, autour d’un fragment de l’histoire de ce pays.

Un roman plein d’espoir et de sentiments positifs qui nous montre que les travers d’une société qui peut « casser » psychologiquement les individus, comme ceux d’une autre qui les sacrifie dans la violence, n’arrivent pas toujours à évincer les résiliences…

Anne-Marie Boisson 
(07/04/15)    



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Chèvre-feuille étoilée

(Février 2015)
348 pages - 15 €














Caroline Fabre-Rousseau,
née en 1962, est poète,
nouvelliste et romancière.



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