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Frédéric VITOUX

Au Rendez-Vous des Mariniers



Ce n’est pas un secret, Paris compte bien des lieux disparus de son paysage. Détruits, transformés ou défigurés. Des lieux dans lesquels les voix du passé se sont tues ; et leurs fantômes à jamais neutralisés dans l’indifférence du flot courant, galopant de nos contemporains. Peut-on les imaginer rester telles des cellules dormantes dans l’espoir d’un dernier sursaut de vie ? Pour cela seule la voix d’un poète est en mesure d’agiter leurs cendres et d’évoquer leur existence.    

Le Rendez-vous des Mariniers est l’un de ces lieux et Frédéric Vitoux le poète qui ranime sa mémoire. Ce bistrot du 33 quai d’Anjou dans l’Ile Saint-Louis, Frédéric Vitoux ne l’a pas choisi par hasard, il était dressé dans le décor quotidien de son enfance, mais aucun de ses souvenirs ne l’a lié à sa mémoire. Disparu en 1953, alors qu’il n’avait que neuf ans, il semble s’être masqué comme un personnage louche derrière un arbre chaque fois que le jeune Vitoux croisait son chemin. Pour le dire clairement, le bistrot Au Rendez-vous des Mariniersl’obsède parce qu’il a, en quelque sorte, cessé d’exister à l’instant précis où il fixait ses premières images de l’île. Parce qu’il se situe juste au bout du quai d’Anjou qui parcourt ou résume son existence.  

Pour combler cette trace effacée, Frédéric Vitoux partira en croisade pour retrouver le souvenir que d’autres ont pu garder de ce Rendez-vous manqué pour lui.

Les voix anciennes qu’il exhumera, sans pouvoir raviver ses propres souvenirs, ne sont pas des moindres, en premier lieu, le jeune Jean de la Ville de Mirmont, mort enterré dans une tranchée devant Verneuil le 28 novembre 1914, jeune poète que l’on retrouve dans l’Anthologie des écrivains morts à la guerre parmi plus de huit cents autres. Jugé trop maigre pour monter au front, il venait Au rendez-vous des Mariniers pour se suralimenter et arriver à ses fins : le droit au combat et sa prévisible mort ; puis juste après l’armistice les voix de la génération perdue, celles entre autres d’Ernest Hemingway et de son ami John Dos Passos qui, bien avant leur gloire à venir et la rupture de leur amitié, venaient eux aussi dîner dans le restaurant de Mme Lecomte, sur la rive la plus éloignée de l’île. Il était bondé d’Américains et il leur fallait attendre debout avant de trouver des places.

Pour témoigner du passé de cet éphémère lieu parisien, Frédéric Vitoux ira jusqu’à rechercher dans les aventures du plus parisien des commissaires de police : Maigret, dont le bureau se trouvait si peu éloigné de ce Rendez-vous des Mariniers ; mais en vain, Maigret a bien sûr quelques infimes liens avec l’île Saint-Louis mais aucune des lignes des romans de Simenon ne font référence à ce bistrot. Aucun crime, aucun suicide, aucun drame familial ne s’est déroulé au Rendez-vous, dans les affaires traitées par le célèbre commissaire, ni sans doute dans la vie réelle de ce lieu le temps de sa présence quai d’Anjou entre 1904 et 1953, car j’imagine que Frédéric Vitoux a pris le soin dans son enquête passionnée, de consulter les archives de la préfecture de police de Paris.

Dans cette salle de bistrot dont nous découvrons quelques photos reproduites dans l’ouvrage, nous apercevrons après Jean, Ernest et John, les silhouettes fugitives de Louis-Ferdinand Céline (comment Vitoux aurait-il pu l’oublier ?), de  Mauriac, de Drieu la Rochelle, d’Aragon à l’époque où il se consumait d’amour pour Nancy Cunard et qu’il n’aurait fallu qu’un moment de plus pour que la mort vienne, et d’autres bien sûr comme en témoigne le livre d’or de ce bistrot ludovisien sans doute à jamais disparu qu’eut la chance de tenir entre ses mains Nicole l’épouse de Frédéric Vitoux à une époque où ce lieu n’intriguait personne.

Notre écrivain s’attarde aussi pour nous régaler Au Rendez-vous des Mariniers sur des anecdotes et des réflexions littéraires dont le menu est de choix.

Quelle aubaine pour Frédéric Vitoux d’avoir trouvé un tel sujet et je ressens en lisant ce récit le plaisir qu’il a dû éprouver en élaborant son ouvrage, un plaisir que j’imagine identique à celui que j’ai éprouvé à le lire et qu’éprouveront certainement ses lecteurs.
Ecrire n’est-il pas le plus jouissif des plaisirs et la lecture la part de ce plaisir mis en partage ?     

David Nahmias 
(03/03/16)    



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Lectures




Fayard

(Janvier 2016)
320 pages - 20 €









Frédéric Vitoux,
né en 1944, membre de l’Académie française depuis 2001, est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont plusieurs consacrés à Louis-Ferdinand Céline.

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