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Gaëlle HEUREUX

Un destin miniature



Un soir d’automne, Paul Parc, vingt-quatre ans, décide sur un coup de tête de fuir. Le jeune homme discret, brillant étudiant à sa septième année post-bac, englué dans une thèse d’économie et une vie qui l'ennuie, couvé par sa mère qui l'héberge encore, étouffe. Sans rien dire, à l'heure du dîner, il quitte sa vie millimétrée.
Il file avec sa voiture à l'aventure, de nuit et sans but précis, en direction de la mer.
C'est là que les ennuis vont commencer.

Tout d'abord, il se fait sauvagement agresser sur le parking d'une station-service de l'autoroute, se retrouvant laissé pour mort, sans voiture, sans papiers et sans argent. 
Découvert par un camionneur et transporté d'urgence à l'hôpital, le garçon s'avère d'une bonne constitution. Son manque de combativité et sa surprise lui ont permis de s'en tirer avec quelques hématomes, des côtes et une mâchoire cassée, mais aucun processus vital atteint.
Après l'établissement hospitalier, ce sera chez les nonnes qu'il fera sa convalescence.
Il lui faudra un peu de temps psychologiquement pour digérer le traumatisme du tabassage gratuit, mais les sœurs attentives et chaleureuses le laissent récupérer tranquillement. Sa connivence avec sœur Marie-Xavier, qu'il surnomme SMX, dans cet îlot de calme où il sait se faire apprécier, lui permet doucement de se reconstruire.
Quand les sœurs devenues trop peu nombreuses, doivent quitter les lieux pour laisser la place à des moines, il préfèrera suivre son propre chemin.

Après avoir frôlé la mort un soir de grand froid, il atterrira pour un bref séjour en centre d'accueil où il rencontrera l'amour physique pour la première fois sous les traits de Zaharia, dit Maud, une réfugiée. Les violences de certains pensionnaires et le départ précipité de Maud, le pousseront à reprendre son voyage vers la mer et à saisir le premier emploi qui passe à sa portée : une place de serveur dans un bar de la côte. L'emploi n'offre pas beaucoup de temps morts mais reste simple, l'ambiance est  agréable et le colocataire bon cuisinier est sympathique.
Il s'y attardera donc le temps de se refaire un pécule suffisant pour rebondir. 

Sa candidature retenue par une banque, il changera de job et de logement assurant successivement une présence au guichet, le travail interne dans les bureaux puis aux archives.
Un univers où le garçon certes rodé aux chiffres et à l'économie mais rêveur et trop sensible, sans rage ni ambition, s'avère peu à sa place. C'est entre l’exécution des photocopies des chèques litigieux, la constitution des dossiers clients et la recherche dans les archives, à un poste subalterne sans responsabilité ni rapport avec le public, qu'il trouvera finalement place. Il s'y liera entre autres avec l'archiviste Elfriede, femme mûre alcoolique et philosophe à ses heures, perdue dans ses papiers depuis trente-cinq ans.
L’accès aux ordinateurs lui donnera aussi l’opportunité de retrouver les coordonnées de Zaharia puisqu'un hasard heureux lui a fait ouvrir son compte dans la même banque en région parisienne.Le jeune homme ne parvient pas vraiment à oublier les deux semaines où elle le retrouvait dans sa chambre. Elle lui manque.
Le deux-pièces du troisième étage qu'il occupe, situé non loin de la mer où il aime à se balader, est pourtant confortable. Mais parfois la solitude lui pèse. Il ne fait que croiser les habitants des sept autres appartements de cet immeuble sans histoires. Seule entorse au calme, les sœurs Boudsoque, ses nouvelles voisines du quatrième dont les cris et les scènes polluent son espace. Mais depuis que, pour être monté se plaindre, il sait que Reine assure l’intendance et la charge de sa sœur lourdement handicapée qui reste cloîtrée là en permanence, il se contente d'utiliser des bouchons d'oreilles quand ça s'agite trop au-dessus de sa tête.

Paul  semble cependant puiser dans cette existence médiocre et minuscule un certain apaisement et un équilibre suffisant pour reprendre contact avec sa mère et même lui rendre visite à l'occasion.
C'est lors d'un mariage où le jeune homme est invité, que sa route va croiser celle de Louise.

Ce livre est dominé par la personnalité même de Paul : un jeune homme à la fois ordinaire et bizarre, voire énigmatique.
Le début peut laisser croire à une crise existentielle liée à une mère trop encombrante au moment du nécessaire passage à l'âge adulte et aux choix personnels qui immanquablement se posent à Paul, mais c'est ailleurs que le roman nous embarque.
Le jeune homme sympathique et attachant s’avère aussi profondément décalé.
Derrière les angoisses ou le flegme d'un héros dont l'incapacité à se battre, le refus de la compétition, le désintérêt pour l'argent et le peu de goût pour la consommation sont atypiques, se cache un esprit d'observation qui lui fait noter  dans son carnet toutes ses réflexions sur ce (et ceux) qu'il voit au quotidien, avec une intelligence, une pertinence et un humour décapant qui ne peuvent laisser indifférent.
Il y a dans ces réflexions de la drôlerie, un esprit incisif, du bon sens et une sensibilité propres à ravir le lecteur.

La fiction pourtant inscrite de plain-pied dans la réalité contemporaine sort vite du cadre du roman social ou d'apprentissage. Le narrateur et son histoire, troussée par une écriture alerte et des formulations imagées d'une remarquable efficacité, embarquée par une fantaisie débridée, installent assez rapidement entre le récit et le lecteur une distance. De quoi glisser facilement de l’empathie au sourire, de la mélancolie au rire, de la sociologie et psychologie à une littérature de l'effleurement où l’abîme et ses profondeurs insondables ne sont qu'esquissés. 

Ce court roman, avec sa fin ouverte et sa composition en séquences/chapitres juxtaposés, s'inscrit bien dans la lignée du premier recueil de nouvelles de l'auteur (Sanglier noir, pivoines roses) primé par la SGDL en 2014. Il est bref et intense, truffé de zones de silence restant à combler par le lecteur. 
Souhaitons qu’Un destin miniature, sélectionné pour le prix de Flore 2015, rencontre la même reconnaissance et le même succès. Il le mérite !

Dominique Baillon-Lalande
(10/03/15)    



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La Table Ronde

(Février 2015)
176 pages - 16 €









Gaëlle Heureux
née en 1970, a débuté en participant à des concours et en envoyant ses textes à des revues. Son premier recueil a été primé par la SGDL. Son premier roman, Un destin miniature, est sélectionné pour le Prix de la Closerie des Lilas 2015.









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le précédent livre
du même auteur :


Sanglier noir,
pivoines roses


Prix SGDL
du premier recueil
de nouvelles
2014