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Emmanuelle GUATTARI


Victoria Bretagne


Ce court roman évoque, à petites touches finement choisies, des fragments d’adolescence et plus particulièrement le portrait de Victoria Bretagne, jeune fille belle et dominatrice, toujours entourée de courtisans qui se pressent autour d’elle comme les phalènes autour d’une lampe.

C’est la fille du propriétaire d’un bar, le Trophime, où Victoria dispose de sa table dont les banquettes sont très convoitées, où elle invite ou évince d’un simple geste.
Elle est d’une beauté troublante malgré une cicatrice qui lui traverse le visage, du front au menton.
Son père, un des hommes les plus riches de la ville, considérait sa fille comme un trésor et, jusqu’à l’accident, envisageait un beau mariage. « Son projet est anéanti par la défiguration de Victoria, qui étonnamment reste belle avec toute cette balafre. »
Malgré tout, « il y avait l'espoir. La blessure guérirait et serait moins défigurante. Et puis avec l'argent, il pouvait montrer Vicky aux plus grands spécialistes, aux plus coûteux chirurgiens. Ce qu'il fit. Elle endura la première reconstruction avec un très grand courage. Et les suivantes avec une détermination pleine de certitude. Mais avec les années, chaque période d'opération était un calvaire sans lueur. On gagnait un millimètre ici, un centimètre au plus. Puis il y eut les greffes, la peau tendue prise ailleurs. »

Un nouveau garçon arrive au lycée, Noël Rougier « grand comme un homme. Il est très blanc et ses cheveux sont noirs. Les filles les plus développées se demandent s’il ne serait pas plus vieux que nous. » Noël Rougier a une relation étrange avec Victoria, à la fois proche et distant, arrivant et repartant sans prévenir. Madame Rougier est antiquaire, c’est elle qui a trouvé le château où se sont installés les Bretagne.
« Elle s'était rendue dans le château pour faire une estimation du mobilier et avait signalé à Bretagne que le domaine allait être mis en vente. Bretagne a tout acheté, les murs, les meubles, jusqu'aux rideaux qu'avait réclamés Victoria. »
Difficile de savoir quelle était la nature exacte de la relation entre Victoria et Noël...

D’autres silhouettes apparaissent au fil des pages. Anne, la meilleure amie, complices parce qu’elles ne sont pas des filles de bourgeois contrairement aux autres (« on aurait bien aimé parfois »). Patrick, un garçon étonnant, secret, qui ne lui a jamais jeté un regard. « Patrick courbé sur sa mobylette, c'est le spectacle mobile le plus bouleversant que j'aie vu à l'époque. Il part de chez ses parents, une maison à cinquante mètres de chez moi. Il ne m'a jamais vue. Il ne voit personne, il est incroyable. [...] Patrick semble avoir une confiance absolue dans ses parents. Chaque trajet est un couloir qui le ramène à eux. »
Il y a aussi Tricia, rencontrée plus tard, à Paris, une jeune femme qui a tendance à s’évanouir dans les magasins, en partie à cause d’un problème d’alcool. « Elle avait sûrement été imbibée dès la naissance – comme la goutte dans le biberon autrefois – puis habituée au spectacle : des bières de barbecue, des bières de canapé, des bières dans le frigo, dans la bagnole. »

Un livre tout en évocations subtiles, en fragments de mémoire, qui fait renaître les émotions ressenties à l’adolescence face à cette jeune fille belle et défigurée, dominatrice parmi sa cour et si fragile face à ce garçon indépendant et mystérieux. On lit ce roman comme on feuillette un album de photos en écoutant une douce musique. On admire la précision des mots, le ciselé des phrases, la justesse du ton...

Serge Cabrol 
(14/03/16)    



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Lectures








Mercure de France

(Février 2016)
88 pages - 10 €






Emmanuelle Guattari
a enseigné le français et l’anglais aux Etats-Unis et en France. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture. Victoria Bretagne est son quatrième roman.




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