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Nicolas JAILLET

La maison



Le roman tourne autour d'un trio : Martine, infirmière, Jean, professeur de gymnastique, et leur fils, narrateur qui raconte ce dont il se souvient et ce qu'il imagine. Comme le mariage de sa mère, jeune fille enceinte de deux mois, avec cet homme qui devient querelleur et violent quand il a bu : "Elle s'en rend compte à cet instant précis. Elle ne s'était pas encore posé la question, mais la réponse s'impose d'elle-même. Le bouquet, la robe, le mariage et l'enfant n'y changeront rien. Elle ne l'aimera jamais. C'est un soulagement."
On comprend vite que l'on se trouve face à une erreur que tous vont payer cher, des êtres qui se sont trompés d'histoire.

Au départ, ils vivent chez ses parents à lui, avec un vieil homme malade vite disparu et une mère usée et sans affection. Après la naissance du bambin, la famille s'installe dans une maison à Dombrésy. L'atmosphère familiale est lourde et le gamin vit au quotidien ce couple mal assorti : ce père, "un homme normal qui, quand on le mettait en colère...", avec une mère qui endosse le costume de la victime résignée.
Peu de moments partagés entre ceux-là, à part peut-être les vacances père-fils en vélo, mais un statu quo instauré pour éviter le pire, "ici on ne crie pas. Tout se fait à mi-voix." "Mon père avait cette façon paradoxale de nous faire comprendre que nous étions un boulet pour lui, alors que Martine se taisait. Et moi aussi je me taisais."
L'homme insatisfait, irritable et violent, n'hésite pas à lever la main sur son épouse. "Quand elle a un contretemps, Martine rentre du travail dans un état de nerfs fébrile. Elle sait que ça va tomber. Elle ne sait ni quand, ni sous quelle forme, mais la colère de Jean couve, dissimulée sous un voile d'attentions et de tendresse excessives."
Et, si le foyer ne connaît pas les problèmes financiers, si quelques amis, dont la fidèle Gisèle, viennent parfois pour dîner, le malaise finit par s'installer, palpable, pour l'enfant qui se met à épier ses parents, à guetter les signes du désastre dans le calme qui précède la tempête.

Le fait que sa mère stocke tout ce qu'elle peut récupérer dans un mystérieux débarras dont elle seule conserve la clef, ne l'interpelle cependant pas. Le père non plus. Pourtant "Martine avait entreposé les objets que les autres jugeaient inutiles dans une sorte de cagibi... Cette pièce était rangée avec soin. Martine était la seule à y entrer. Elle n'y restait jamais longtemps. Elle rangeait. Mon père disait qu'elle trifouillait. Quand une assiette était ébréchée, ma mère refusait de la jeter. Elle l'emmenait dans son cagibi." Cette pièce ressemble à une oasis pour cette épouse qui semble tout accepter sans se rebeller. Avec indifférence ? Pour protéger son fils ? On pressent vite comme un mystère dont cette pièce serait le cœur.

L'enfant grandit, la situation reste stable dans l'angoisse et l'enfant lui-même n'arrive pas toujours à éviter le rapport de force.
Pendant ce temps… "Le lenzite des poutres est un champignon qui ronge le bois. Il travaille en douceur pendant des années et son ouvrage est invisible. Jusqu'au jour où la maison s'effondre."
Et les gens ne sont jamais totalement ce qu'on croit qu'ils sont. Ainsi Martine nourrit-elle un plan secret qu'elle ourdit méticuleusement jusqu'au seizième anniversaire de son fils, pour mettre fin à cette histoire sordide.
"Non. La peur, on ne s'y habitue pas."

C'est alors son histoire à lui qui commence....

C'est un roman sous tension, un polar sans cadavre où les blessures des victimes sont intérieures, où la peur est présente à chaque ligne, qui nous est ici offert. Une histoire terrible, à la violence embusquée, où tout est suggéré avec une distance narrative subtile. Une machine à broyer diablement efficace.
Le moindre détail, en apparence anodin, vient ajouter à l'angoisse, alourdir ce quotidien innommable, accentuer l'enfermement fatal. L'asphyxie des personnages est totale. Seule l'innocence de l'enfant, préservé au maximum par sa mère avant qu'il ne grandisse et ne lise l'histoire écrite par cette famille minée par la haine du père, envers ceux qui l'entourent comme envers la vie qu'il s'est faite, permet au lecteur de faire surface.
Le cataclysme est annoncé et la destruction semble inéluctable. On s'attend à chaque instant à ce que tout explose et nous avec, mais on reste pourtant, in extremis, au bord du précipice sans y sombrer.

Un "remarquable travail d'architecte. On ne peut qu'admirer la finesse du plan. Son équilibre. [...] Chaque pièce, chaque porte, chaque mur, chaque fenêtre. Tout se bâtit, peu à peu, tout s'emboîte. Jusqu'au moment où l'on s'aperçoit que la construction est terminée et que l'on s'y trouve, nous, lecteurs, piégés. Enfermés à l'intérieur. A la même enseigne que les personnages. Car cette maison est une cage. C'est une prison. C'est un tombeau. C'est, en réalité, précisément ce que ses habitants en ont fait. C'est l'enfer." écrit avec un enthousiasme mérité Marcus Malte dans la préface. Effectivement, on ne pourrait mieux dire.

"Les êtres humains sont tout sauf médiocres. Ils sont magistraux de générosité, de cruauté, de haine, d'amour, de simplicité, de complexité", nous livre Nicolas Jaillet dans sa biographie sur K-libre.
C'est dans les profondeurs obscures de l'humain que l'auteur nous entraîne dans ce court roman noir, très noir, fort, intime et convaincant.
A découvrir.

Dominique Baillon-Lalande 
(16/06/13)    



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Noir & polar








Rue du Départ

(Mars 2013)
124 pages - 10 €










Nicolas Jaillet,

né en 1971, a fait son premier tour du monde à vingt ans avec une troupe de théâtre forain. Il a écrit des chansons pour son camarade Alexis HK et plusieurs livres qui explorent la littérature de genre : aventure, western, science-fiction, roman historique…











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