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Adriana LUNARDI

Corps étranger



Un roman brésilien qui se passe à la saison la plus chaude de l'année, en janvier. Y convergent les destins de trois personnages, deux femmes et un homme, entre l’effervescence de la ville de Rio et l'isolement de la forêt atlantique brésilienne à quelques heures de là.

Au centre il y a Mariana, une artiste peintre qui s'est retirée dans une maison perdue en pleine nature dans l'état du Minas Gerais il y a une vingtaine d'années, après la mort de José, son jeune frère adoré. Inconsolable, elle vit dans l’extrême solitude et la simplicité en appliquant son art au dessin botanique.
C'est à l'heure du roman une vieille femme fragile, toujours emplie d'amertume et devenue plus coutumière des bruits de la forêt et du chant des oiseaux que des échanges avec ses congénères.
Au commencement de cette histoire, elle s'applique à dessiner une broméliacée rare, le Nidularium dont la fleur en forme de nid ne s'offre aux regards qu'un seul jour dans sa courte vie. Une fois le travail de préparation fini et la base du dessin esquissé, elle s’aperçoit que lui manque le rouge de quinacridone qui devrait lui permettre de terminer la fleur une fois éclose.

Devant l'incapacité de faire elle-même le voyage, elle se trouve contrainte de solliciter Paolo, un galeriste amant de José autrefois, pour qu'il lui ramène au plus vite cette couleur indispensable à sa restitution. Entre eux jamais les relations ne se sont apaisées mais elle ne connaît plus que lui à Rio et rien d'autre ne compte en cet instant que l'excellence de son art.
Paolo accepte sans hésiter mais comme la demande l'a cueilli à sa galerie en phase d'accrochage de la prochaine exposition, il se décharge de la livraison sur Manu. Celle-ci, évadée à l'instant d'une relation amoureuse destructrice avec un junkie, vient justement de solliciter un hébergement de secours auprès de lui. Pour l'apprentie photographe fragilisée par un lourd diabète qu'il a connue enfant et qu'il a depuis toujours prise sous sa protection, cette escapade au vert de quelques jours ne pourra qu'être bénéfique. Elle sera hébergée dans l'immense maison que l'homme a entrepris de construire quand il était encore avec José, à proximité de celle de Mariana, et il viendra la rechercher à la fin du week-end.
La diversion convient fort bien à Manu qui, confrontée à des décisions importantes concernant sa santé et son avenir, a besoin de calme et de recul. 

La vieille dame murée dans sa douleur et ses ressentiments se laissera vite fasciner par la liberté, l'urgence et la solitude qui habitent la jeune fille. Elle décrypte chez elle les signes de cette fuite éperdue dans l'immédiateté du présent que peut provoquer un avenir trop douloureux, reconnaît dans ses attitudes, malgré leur grande différence d'âge, une âme sœur dans la souffrance et l'exil du monde.
Chacune par son art, refuge ultime contre le désespoir et l'effacement, tente de fixer l'instant, d'immortaliser l'infiniment petit, pour, à l'abri derrière l'objectif ou le pinceau, se sentir enfin libre et vivante.

Quand Paolo viendra rechercher Manu pour la conduire pour un nouveau protocole de soin à l’hôpital de Rio, c'est une vieille femme presque apaisée et une grande enfant prête à faire face aux épreuves à venir, qui l'accueilleront. Pour lui aussi, il sent qu'il serait temps de tourner la page…

Le roman d'Adriana Lunardi n'a rien d'exotique et ne nous apprend pas grand-chose sur le Brésil contemporain mais son trio de personnages dont elle sonde les cœurs avec finesse, délicatesse et tendresse, dont elle met en scène les passions, en dit beaucoup sur la nature humaine et ses sentiments. Tous, sont fragiles, cassés, rafistolés, mais chacun à sa façon se bat pour continuer à vivre malgré l'adversité, le deuil, la maladie ou la mort.
Dans ce texte riche et vibrant c'est aussi l’Art, la beauté et l'altérité que l'auteur poursuit du faisceau de son projecteur. Seul l'amour de celui-ci, sous des formes diverses, permet à Mariana, Manu ou Paolo de respirer, de se tenir debout et de cheminer encore.

Le roman, à l'unisson, soigne son esthétique et son écriture, choisit ses mots avec soin, use d'images fortes et colorées, pour naviguer sur cette étendue du sensible, de l'émotion, de la passion et de l'humain que l'auteur a décidé d'explorer.

Une belle captation de la vie en mouvement, un beau moment de littérature.

Dominique Baillon-Lalande 
(28/04/15)    



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Lectures








Joëlle Losfeld

(Mars 2015)
280 pages - 22,50 €


Traduit du portugais par
Maryvonne
Lapouge-Pettorelli
et
Briec Philippon







Adriana Lunardi,
née au Brésil en 1964,
a remporté de nombreux prix littéraires. L’un de ses livres a déjà été traduit chez Joëlle Losfeld en 2005, Vésperas, dont les nouvelles évoquent
neuf femmes écrivains
à la fin de leur vie.