Paris et son éternelle jeunesse. Déambulations, rencontres, dîners,
activités professionnelles
Nous suivons un jeune homme qui a quitté
sa province et arrive dans la capitale comme tant d'autres avant lui au fil de
l'histoire littéraire : d'Artagnan, Rastignac, Frédéric Moreau
Lui s'appelle Pierre et son occupation principale, après son arrivée,
est de marcher dans les rues.
Ce n'est pas vraiment qu'il aime marcher mais une force irrésistible
l'y contraint.
L'appartement de Pierre persistait à le projeter à nouveau
dehors dès qu'il mettait un pied chez lui. Les muscles d'une langue de baleine
le poussaient inexorablement vers la mâchoire, hors du gosier. Il retrouvait
alors les rues de son quartier...
Au cours de ses déambulations, sa première rencontre est une
jeune femme blonde, Josépha, qui pose pour un peintre. Il la suit jusqu'à
une fête chez des inconnus mais, au bout d'un moment, s'aperçoit
qu'elle a disparu. En titubant, il se dirigea vers le premier métro.
Quelques jours plus tard, il croise une autre femme, Rebecca, sa voisine de
palier
Pierre est documentaliste à Radio France. Les auteurs nous font un portrait
incisif des journalistes et de ce qu'ils nomment "la passion de l'info",
susceptible de les entraîner dans la plus grande agitation dès
qu'un événement survient brutalement, au point d'envahir toute
la scène médiatique. On le voit souvent, quand un homme politique
français apparaît menotté à New York ou qu'une jeune
fille rom est reconduite au Kosovo
Les jours comme celui-ci, quand le tourbillon de l'info s'emballait, ils
mettaient en place des systèmes permettant aux auditeurs de suivre minute
par minute le déroulement des événements et, plus ils répétaient
les données du problème, plus celui-ci prenait du poids, devenait
énorme, obèse. L'Information devenait une baleine aux formes généreuses
dans laquelle le monde entier pouvait se réfugier, tous coude à
coude, bien serrés, au chaud, enveloppés dans le ventre de l'information.
Au cur du roman s'installe la relation de Pierre avec sa voisine. Rebecca
écrit des articles dans le Magazine littéraire et Les
Inrocks et vit avec Dan, un jeune homme pâle, chétif, plongé
dans une thèse à laquelle il ne semble plus croire lui-même
et qui dénigre le monde entier.
Pierre est à la fois acteur et spectateur chez ses voisins, celui qu'on
invite lorsqu'on reçoit des amis pour qu'il assiste au spectacle et la
soirée qu'il passe chez Rebecca et Dan avec leurs "amis" Fabrice
et Cécile est un grand morceau d'anthologie.
L'écriture des auteurs magnifie le quotidien sans peur de l'hyperbole
et la préparation du repas devient un acte sacrificiel.
Pierre sentait que la préparation de ce repas était un corps
à corps trivial : Rebecca s'apprêtait à gaver ses invités
pour les contenir et les posséder. Elle devenait ogresse, loin de la
personne douce et embarrassée qu'elle s'appliquait habituellement à
être.
C'étaient les préparatifs d'un sacrifice, ou plutôt les
libations rituelles post-holocauste. Rebecca, en hiérophante, avait déjà
découpé les membres des immolés, et son hachoir était
ensanglanté.
Pour la suite de la soirée, rendez-vous page157, vous ne serez pas déçus.
Pierre parle peu mais il aime écouter Rebecca. Ils vont ensemble rencontrer
des personnalités intellectuelles, pour leurs travaux respectifs et ces
interviews donnent lieu à des scènes mémorables où
Emmanuelle Maffesoli et Clément Bosqué s'en donnent à cur
joie sans lésiner sur la dérision et l'ironie. De belles caricatures
!
C'est tout d'abord le neuro-physicien Jean-Denis Berger, un "anarchiste"
couvert d'honneurs et de médailles, qui les reçoit dans son bureau
en descendant du whisky et finit effondré dans son fauteuil.
C'est ensuite le poète-philosophe Jean-Pierre Baille qui déclare
qu'il faut aller de métaphores en métonymies pour trouver du
sens et que l'être humain est un animal narratif qui ne connaît
pas sa propre narration
En l'occurrence, Christian Nioulescu, psychanalyste
chargé de la rubrique Sciences humaines du Magazine littéraire,
a exigé d'accompagner Rebecca et de conduire lui même l'entretien.
Nioulescu est à deux doigts de se pâmer tant est immense le bonheur
de rencontrer le Maître. Nioulescu rougissait de plus en plus. Congestionné,
il avait l'air d'un enfant gourmand, surpris entre honte et plaisir, les joues
encore pleines, en train de vider la bonbonnière du salon.
Une fois
encore, Pierre, au spectacle, se régale.
La grande réussite de ce roman est la distance que nous donne le regard
de Pierre sur le monde qui l'entoure et les personnes qu'il rencontre. Il observe,
intervient peu, écoute plus qu'il ne parle mais se réserve le
droit de penser.
Les femmes Josépha, Rebecca trouvent grâce
à ses yeux. C'est différent pour les hommes et notamment
pour Dan à part pour un mystérieux baron qu'on croise au
début du livre et qui ne sera pas étranger à son dénouement.
L'été passe, septembre arrive, Pierre ne craint pas l'orage. N'en
disons pas plus
Serge Cabrol
(27/10/13)