À la suite d'une gifle malencontreusement donnée à une
employée dans un moment de pression, et au suicide de celle-ci peu après,
un homme se voit contraint de démissionner de sa situation confortable
de superviseur en télémarketing. Il en profite pour quitter l'agitation
de la ville de Sao Paulo et se retirer près de la frontière colombienne,
à l'ouest du Brésil, dans une petite ville tranquille du Mato
Grosso. Le Pantanal où il se trouve, au sud-ouest de l'État, est
un paradis écologique à l'écosystème parfait, avec
un réseau dense de cours d'eau et de lacs, des forêts somptueuses
abritant une faune d'une richesse exceptionnelle. Le lieu idéal pour
une quasi-retraite apte à soigner son début de dépression.
"Le reporter dit : 33000 jeunes mourront assassinés au cours
des quatre prochaines années [...] les victimes, d'après les statistiques,
seront noires ou mulâtres.[...] j'écoute tout cela avec l'agréable
sensation de n'être la cible de rien, je suis en dehors des statistiques,
je ne suis pas riche, je ne suis ni noir, ni musulman, voilà ce que je
pense, je suis en sécurité, à l'abri dans mon véhicule,
tandis que je vais jusqu'au village des Remedios, ma fenêtre toujours
baissée, pour sentir l'odeur de la brousse qui m'envahit les narines."
L'homme profite de cet environnement et du temps splendide pour s'adonner à
la pêche sur les berges du Paraguay.
Mais un jour où il se livre à son activité favorite, il
est brutalement sorti de la somnolence dans laquelle il s'était laissé
couler sous l'effet de la chaleur et de l'alcool, par une explosion.
"Je ne sais même pas très bien comment c'est arrivé.
Soudain, une explosion, et l'avion a plongé dans le Paraguay, comme un
martin-pêcheur."
Le pêcheur se précipite aussitôt sur les lieux de l'accident
pour porter secours au pilote. Trop tard, celui-ci coincé dans le cockpit
de l'avion expire dans ses bras. C'est alors qu'en jetant un regard circulaire
autour de lui, il aperçoit le sac à dos en cuir. De quoi être
renseigné sur l'identité du mort mais de se retrouver également
avec un paquet contenant de la cocaïne en belle quantité.
S'il pense un instant tout remettre en place et aller à la police signaler
l'accident, il hésite quand même devant cette opportunité
de se faire une nouvelle vie... Après tout "trouver n'est pas voler"
et s'il fallait voir là un signe du destin ?
"A l'idée d'une montagne d'argent, il m'a fallu moins d'une minute
pour prendre ma décision. Je ne sais plus qui a dit que l'homme ne reste
pas honnête très longtemps quand il se retrouve tout seul, mais
c'est la stricte vérité. Tant que j'y étais, j'ai aussi
retiré la montre du poignet du pilote et j'ai foutu le camp."
"Il existe la logique, l'intelligence, la stratégie, les plans,
mais il y a aussi le mystère de la vie. A vrai dire, on ne peut avancer
que jusqu'à un certain point. Au-delà, c'est la chance. Et la
chance, c'est la chance."
Commence alors pour l'homme qui n'a rien d'un aventurier mais que son choix
va précipiter, un échelon après l'autre, dans l'immoralité
et l'impasse, une série de péripéties plus périlleuses
les unes que les autres. Non sans dégâts collatéraux.
Au départ, l'homme, lesté de culpabilité, est accablé
par des cauchemars. "Je ne trouvais plus le repos. De jour, l'indignation,
et de nuit, les cauchemars, [
] C'était en plein vol que je me réveillais,
avec le vertige de l'altitude. Ou de la chute, je ne me rappelle pas bien."
Puis il s'arrange avec lui-même : "Qu'est-ce que ça faisait
si j'avais abandonné le cadavre dans le fleuve ? J'ai tué personne,
à vous. Même si j'avais extirpé le gars de l'avion et si
je l'avais porté sur mon dos jusqu'à la ville, cela n'aurait rien
changé. Il serait mort de toute façon. On mourra tous un jour.
Qu'est-ce que cela pouvait bien faire si j'avais piqué la cocaïne
? Qu'on me lance la première pierre, à vous. On a tous volé
quelque chose, à un moment ou à un autre. Presque tous. Au moins
une fois. Ou on volera. Le Brésil est plein de salauds, voilà
la vérité."
Mais, ce dealer improvisé qui se laisse porter par les événements,
n'est pas de taille. Il cumule les faux pas et les mauvais choix.
Accueilli par son cousin garagiste quand il ne sait plus vers qui se tourner
et comment s'en sortir, il trouve le moyen d'avoir une sordide histoire de sexe
avec Rita, l'allumeuse qui lui sert d'épouse. De quoi rendre, bien sûr,
furieux celui que rongent au quotidien la jalousie et la suspicion. Belle façon
de flirter avec la mort ou de se retrouver plumé...
Et ce n'est pas Moacir, l'Indien minable et alcoolique qu'il a trouvé
pour écouler la marchandise qui changera la donne. Surtout quand le stock
se trouve épuisé, l'argent dépensé et que celui-ci
propose de l'introduire auprès de "Monsieur Ramirez", un trafiquant
bolivien qui a ses réseaux, connaît son business et recherche des
transporteurs. De quoi se retrouver mêlé à une sombre histoire
de règlement de comptes avec un complice en prison et des caïds
à ses trousses.
Les ennemis se multiplient et le piège se referme lentement...
Ces mésaventures liées à sa nouvelle carrière dans
la drogue, se déroulent sur fond d'angoisse et de culpabilité,
puisque Porco, qui s'est fait embaucher sur un malentendu comme chauffeur par
les parents du pilote disparu, est journellement confronté à la
douleur de la mère.
Il décide alors, à sa manière, de se rattraper. Puisque
"Tant qu'on n'a pas enterré les morts, les vivants restent là
à saigner" et que Dona Lou, la maîtresse de maison, s'accroche
déraisonnablement et désespérément à l'espoir
du retour du disparu et à l'attente, il décide de l'aider à
faire le deuil en lui fournissant un corps de substitution.
Salumita, sa petite amie qui travaille à la police et a ses entrées
à la morgue, devrait pouvoir lui fournir un cadavre, non réclamé
et assez amoché pour être méconnaissable.
Mais ce qui pouvait paraître initialement comme l'expression d'un remords
et un élan de compassion, se transforme vite en spéculation sur
la douleur et en escroquerie. Au vu de la fortune de ces grands propriétaires
terriens qui l'emploient, l'idée de demander une coquette somme comme
rançon pour compenser les risques et frais annexes, et surtout permettre
à Porco de sauver sa vie en remboursant Ramirez, s'impose vite au couple.
Une opportunité à ne pas laisser passer.
Mais, alors que la transaction est, malgré la méfiance du patron
moins naïf que sa femme, en passe de se conclure, la police vient de repêcher
un corps aux abords de l'appareil accidenté...
Ici, la corruption est partout et nul n'est innocent. Chacun, aspirant à
une autre vie ou souhaitant sa part de gâteau, semble prêt à
de petits arrangements avec la morale.
Porco, le narrateur, n'est pas un assassin, c'est un anti-héros qu'un
concours de circonstances conjugué à la corruption ambiante, va
amener à cumuler les délits. C'est à partir de cette simple
opportunité et de la faiblesse de l'individu que Patrícia Melo
va entraîner son personnage dans une spirale infernale. Et, là
où la machine mise en marche par l'auteur s'avère diablement efficace,
c'est que, par un effet de reflet de la confusion morale qui mine tout le pays,
c'est avec une facilité désarmante que Porco – homme au demeurant
généreux, plein d'humanité et plutôt sympathique
– parvient à étouffer sa conscience face aux exactions qu'il enchaîne.
Comme une stigmatisation de ce brouillage qui règne dans toutes les strates
de la société entre le bien et le mal.
Les rebondissements se succèdent à un rythme soutenu et le style
incisif, fait de petites phrases courtes, rend à la perfection les réflexions
chaotiques et impulsives du narrateur face à cette accélération.
Et l'expression "à vous", un probable tic de langage conservé
du temps où l'homme travaillait pour une entreprise de démarchage
commercial, venant régulièrement ponctuer les paroles du narrateur,
souligne la dichotomie du personnage qui tenterait par cet artifice de mettre
à distance la part d'ombre en lui, révélée par ces
événements.
Porco, le malfrat occasionnel, est-il vraiment un mauvais homme ou est-il lui-même
victime de la corruption ambiante ?
Une question bien évidemment sans réponse mais qui installe le
doute et pourrait expliquer l'issue invraisemblablement heureuse avec laquelle
l'auteur conclut cette histoire.
À moins que cette fin étonnante et amorale ne soit là que
pour rendre plus tangible encore le pourrissement et l'impunité totale
qui font l'ordinaire du pays.
L'ensemble est porté par une tension extrême et permanente. Traditionnelle
dans le monde des trafiquants, voire de la police, la violence gagne aussi les
rapports professionnels, familiaux, conjugaux. Et elle est induite aussi par
les inégalités économiques qui sont au Brésil parmi
les plus élevées du monde. La nature même, avec sa rivière
tranquille des débuts, propice à la détente et traversant
un paysage idyllique, ne fait pas exception : le lecteur apprendra qu'elle est
infestée de piranhas qui dévorent le bétail (et les cadavres)
qui s'aventurent dans son lit.
La sauvagerie, le sang, la mort donnée ou reçue, font ici partie
de l'ordinaire et gangrènent la société brésilienne
aussi sûrement que les trafics et la corruption qui les génèrent.
L'originalité de ce polar, somme toute assez classique dans sa facture
mais qui sait jouer à bon escient du suspense et du retournement de situation,
réside dans le déplacement que l'auteur provoque. Elle accroche
le lecteur par le récit des aventures rocambolesques du protagoniste
et du petit monde haut en couleurs qui l'accompagne, pour instrumentaliser ensuite
chacun des événements au profit d'une dénonciation sans
concession de la corruption au quotidien.
Et nous voilà chahutés entre la lecture réjouissante d'un
bon polar mouvementé à souhait et la dure confrontation au pourrissement
du pays dans lequel celui-ci se déroule.
Au-delà du roman noir, du pamphlet anti-corruption et du roman social,
ce livre résonne comme un cri. À travers l'image de ces braises
qui consument le Brésil en son cur, Patrícia Melo alerte
chacun de nous sur les dérives d'un monde où l'effondrement de
la morale laisserait le champ libre au seul dieu "Argent", dans le
mépris le plus total de la vie humaine.
Une lecture paradoxale, entre divertissement et révolte. À dévorer
résolument !
Dominique Baillon-Lalande
(04/01/14)