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Dominique NOGUEZ
Une année qui commence bien
L'élégance est une notion complexe et composite,
difficile à définir promptement. Pourtant, en lisant le très
beau récit que Dominique Noguez publie chez Flammarion, c'est bien le
mot "élégance" qui surgit, immédiatement et après
réflexion. Le récit autobiographique est un exercice délicat.
Étalage, complaisance, meurtre rituel des personnes citées, ou
tout au moins meurtrissure, voilà les pièges. Dominique Noguez,
parce qu'il place son entreprise plus sous le signe de la littérature
que de la dénonciation ou de la simple énonciation, évite
tous les écueils. Avec élégance.
"Je vais essayer de tout dire". Ainsi commence l'évocation
de six années de l'écrivain, six années rythmées
par sa relation avec Cyril Durieux, jeune banquier de vingt-quatre ans irrésistible
et désespérant. Le désir et l'amour se confondent parfois.
Mais ce qui domine, dans cette histoire de cur et de corps que l'on hésite
à qualifier d'unilatérale tant les tours et détours
des rendez-vous différés et finalement merveilleux, des mensonges
et sincérités, des petites ou grandes trahisons, des cajoleries
et revirements du jeune homme sont nombreux, et terribles c'est l'espoir.
Ce sale espoir, peut-être. Celui qui permet d'avancer, et d'imaginer une
vie à deux, tranquille et apaisée. L'espoir. Qui se décline,
dans cette histoire vraie, en couleuvres avalées, en billets d'avion
retenus, en attentes de coups de téléphone ou de lettres faxées.
Noguez est au Japon. Ce qui aurait dû être un séjour littéraire
et culturel tourne à l'enfer quotidien. Que fait l'amant banquier - le
presque amant, il ne s'est pas donné entièrement - tandis que
l'écrivain souffre dans un pays qu'il devrait découvrir, se languit
et tempête quand il devrait s'émerveiller ? Il ne s'agit pas à
proprement parler de méchante jalousie. Il s'agit plutôt de douleur
et d'espérance mêlées. Élégamment on
ne le dira jamais assez Dominique Noguez n'accable jamais le beau Cyril.
Cette élégance à l'égard de l'ancien amant s'exerce
aussi envers le lecteur. Jamais, jamais, on ne se sent voyeur coupable, appâté,
affriolé par les nuits parisiennes et un milieu réservé.
On se sent au contraire invité à partager les moments cruciaux
d'une vie d'homme, de la vie d'un homme qui se penche sur lui-même et
nous offre, comme en intimité culturelle et amicale, des confidences
douces, brillantes et tendres. C'est que la littérature est passée
par là. Une année qui commence bien est l'exact contre-pied
de l'autofiction. Aucun règlement de compte. Aucune animosité.
Mais un texte, récit littéraire balisé de références
explicites ou murmurées.
La rencontre avec Cyril a lieu en octobre 1993, à l'hôtel de Massa,
siège de la Société des Gens de Lettres. Le récit
qui nous est donné, en 2013, des six années suivantes est le fruit
des souvenirs. Mais pas seulement. Les éphémérides, notes
prises sur le vif, lettres et fax de l'époque, servent de base à
l'élaboration du livre. "Ce côté enivrant de la
vérité vaut autant pour l'auteur que pour le lecteur. Quelque
chose d'entêtant, d'impérieux, d'agréablissime entoure pour
moi l'écriture de ces pages". Car l'intimité avec Cyril
et l'absence de Cyril conduisent Dominique Noguez à s'interroger sur
la manière de construire son récit, de bâtir le tombeau
de son amour envolé. Une année qui commence bien est aussi
un traité de littérature, une réflexion sur l'écriture
de soi et des autres, sur la façon de rendre compte littérairement
d'une expérience intime et impartageable. Les livres, les références
culturelles pour Noguez, les références cinématographiques
et musicales sont aussi importantes nous sauveront toujours du désespoir
de nos petites vies. Ce qui est en jeu, dans Une année qui commence
bien, c'est aussi la "manière". Fuir l'étalage et
s'en remettre à ce qui nous reste le plus solide et le plus franc, le
plus franchement dicible, dans le fond et la forme. Il faut aller lire et relire
la page 268, trop longue pour être citée ici. On y trouve Joyce,
Guyotat, Angot, Moix et Vuillard, on s'y souvient de Gide, de Genet et de Valéry.
L'expression "grand livre" fait peur. Grandiloquente, définitive.
Parfois pas si souvent que cela pourtant, nous autres lecteurs,
sommes frappés par une évidence. Grand livre, oui, que le récit
de Dominique Noguez. Cette année littéraire, avec lui, commence
bien.
*
Extrait :
« Le nez sur ce qu'on a vécu, on finit par manquer d'air, par
s'asphyxier en soi-même. Ainsi, tandis que le romancier, même
flaubertien et amateur d'exactitude, a toujours le droit de changer un nom,
un nez, une date de naissance, le détail d'une intrigue, d'inventer pour
se distraire un nouveau personnage et de le faire courir où il veut,
d'en faire un lâche ou un héros, un riche ou un fauché,
un séducteur ou un thon, l'autobiographe est assigné à
sa propre biographie comme le cheval de fiacre à son sac d'avoine. Le
premier peut gambader et galoper tout son saoul ; lui, non. »
Christine Bini
(05/09/13)
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://lalectricealoeuvre.blogs.nouvelobs.com
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Sommaire
Lectures
Flammarion
(Septembre 2013)
400 pages - 20 €
Dominique Noguez,
né en 1942, a écrit plusieurs dizaines d'ouvrages
(romans, récits, essais
) et obtenu plusieurs prix littéraires
dont le Femina en 1997 pour Amour noir.
Bio-bibliographie sur
Wikipédia
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