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Amélie NOTHOMB


La nostalgie heureuse


Cette année, Amélie Nothomb nous emmène au Japon ou plutôt nous y ramène puisqu'il s'agit d'un retour sur son enfance, déjà abordée dans Métaphysique des tubes (2000), et de cette tranche de vie adulte évoquée pour sa partie professionnelle dans Stupeur et tremblements (1999) et pour son volet sentimental dans Ni d'Ève ni d'Adam (2007).

Une équipe de télévision lui a proposé de l'accompagner au Japon pour retrouver les traces de son existence sur la terre nippone. J'ai accepté pour une simple raison : j'étais persuadée que le projet serait refusé par la chaîne de télévision. Mais, l'idée ayant été acceptée, l'aventure se concrétise et nous embarquons pour l'empire du soleil levant.

Le roman est double puisque l'auteur nous fait partager d'une part ses craintes et ses émotions à l'idée de revoir les personnes aimées là-bas mais aussi la situation particulière d'être suivie dans tous ses déplacements par une équipe de télévision. Pas évident d'éprouver et de montrer à la fois. Par moments, le sentiment d'un dédoublement.

L'équipe de France 5 m'attend, arrivée la veille. Elle filme mes premiers instants sur ce sol. Je décide qu'elle ne me dérange pas. Qu'est-ce qu'une caméra peut percevoir de ce qui se passe en moi ? Elle capte les remous à la surface du lac. Je reste dans mes grands fonds, là où aucune lumière n'arrive jamais.

Il ya beaucoup de moments forts au fil de ce voyage. A commencer par l'arrivée dans le village où elle a vécu ses cinq premières années. La déception est à la hauteur de l'attente. Il y eu le tremblement de terre du 17 janvier 1995 et le quartier où était la maison de son enfance a été détruit et remplacé par des résidences modernes. Là encore, il faut prendre sur soi et tenir son rôle.
Je marche au hasard et je rencontre un terrain de jeu. Ce n'est pas celui de mon enfance mais je ne suis plus à cela près. Je m'installe sur une balançoire et je fais ce qu'on fait quand on y est assis. La caméra me filme et le côté archiconvenu de l'affaire ne me dérange pas. Quand on joue le rôle de l'adulte sur la trace de ses premiers souvenirs, il faut s'attendre à ce genre de plan.

Les retrouvailles avec Nishio-San, la nourrice tant aimée, qui habite depuis le tremblement de terre une HLM de la périphérie de Kobé, sont évidemment très émouvantes, mais rendues aussi plus complexes par la présence de l'équipe de tournage.

Ensuite, c'est Tokyo et de très beaux paragraphes sur le rythme de la ville, la vue du haut d'un gratte-ciel (rappel de Stupeur et tremblements), le "kensho" ressenti dans le parc Shirogane (un sentiment de vide où l'on est de plain pied avec le présent absolu)…

C'est à Tokyo que doit avoir lieu la rencontre, annoncée dès les premières pages du livre et attendue avec inquiétude, avec Rinri, son compagnon pendant deux ans, aventure évoquée dans Ni d'Ève di d'Adam. Il a accepté de la revoir mais pas d'être filmé. Il n'a pas changé du tout. Il est exactement comme en 1989. Mince, beau, sobre, la nuque rasée. Depuis qu'elle l'a quitté, il s'est marié, a eu un fils, a réussi sa vie professionnelle…
Un dîner (sans caméra) est organisé dans un restaurant avec l'équipe de télévision.
– Que pensez-vous du livre d'Amélie qui vous est consacré ? demande la réalisatrice.
Par Jupiter je voudrais être ailleurs.
Il incline un peu la tête avant de dire :
– Une charmante fiction.
La réalisatrice a l'air perplexe.
À la réflexion, je comprends. Dans Ni d'Ève ni d'Adam, je raconte ma version de notre liaison. Comment la version de Rinri ne diffèrerait-elle pas au point que la mienne lui paraisse une fiction ?

Un autre repas est organisé avec son éditeur japonais. Il avait cessé de publier ses œuvres après Stupeur et tremblements où la présentation de l'entreprise nippone avait paru excessive. La publication vient de reprendre avec Métaphysique des tubes mais la traduction de ce livre est une étonnante histoire. En 2001, une hôtesse de l'air quitte la compagnie officielle du Japon pour une compagnie aérienne autrichienne et s'installe à Vienne. Elle découvre l'œuvre d'Amélie Nothomb en allemand et décide d'apprendre le français (cinq ans de travail) pour traduire Métaphysique des tubes en japonais (encore cinq ans de travail).
Je regarde cette incroyable femme avec des yeux ronds. C'est d'autant plus fou que, d'après les critiques et d'après ce que j'ai pu en déchiffrer moi-même, la version japonaise est d'une finesse éblouissante.

L'équipe emmène aussi Amélie Nothomb à Fukushima. Des moignons de maisons se dressent dans le néant. Comme les cadavres de Pompéi, la mort les a figées. Désastre et désolation. La fureur des éléments contre la folie des hommes.

Au fil des pages, les émotions se succèdent, de nature et d'intensité différentes, et c'est grâce à sa traductrice qu'Amélie Nothomb découvre cette expression très particulière du ressenti japonais qui donne son titre au livre.
– "Natsukashii" désigne la nostalgie heureuse, l'instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l'emplit de douceur.

C'est sans doute ce que l'auteur arrive à transmettre au lecteur, au bout du voyage, après cette alternance de bonheur, de déception, de tristesse, les lieux anéantis par le tremblement de terre ou le tsunami mais les personnes aimées toujours prêtes à l'accueillir avec effusion, une douce mélancolie, une nostalgie heureuse… Amélie Nothomb nous fait partager "son" Japon, c'est un beau cadeau, et nombreux sont les lecteurs qui sauront l'apprécier.

Serge Cabrol 
(10/10/13)    

Une vie entre deux eaux, le film de 50 minutes réalisé par Luca Chiara pour France 5, est visible sur Dailymotion : http://www.dailymotion.com/video/x150r4b_amelie-nothomb-une-vie-entre-deux-eaux_shortfilms



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Editions Albin Michel

(Août 2013)
152 pages - 16,50 €






Depuis Hygiène de l'assassin (Albin Michel, 1992), Amélie Nothomb publie un roman chaque année chez le même éditeur.





Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
www.amelie-
nothomb.com







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