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Amélie NOTHOMB


Le crime du comte Neville


La petite dernière du comte Neville a 17 ans et se prénomme Sérieuse. Son frère Oreste et sa sœur Electre sont des êtres solaires, bien dans leur tête et dans leur corps. Mais Sérieuse est taciturne, comme éteinte. Elle veut dormir au fond des bois pour éprouver le froid véritable. Déprime adolescente ou mal plus profond ? Sérieuse demande à son père de la tuer. Non parce qu’en toute bonne logique on aurait dû la prénommer Iphigénie, mais à cause de la prédiction d’une voyante : il est écrit que le comte Henri Neville doit tuer quelqu’un lors de la prochaine réception qu’il donnera en son château du Pluvier. Et puisqu’il faut que quelqu’un meure, Sérieuse se porte candidate :
 
« - Tue-moi, papa. Tu ferais une bonne action. […] Il faut que je meure. Il le faut. […] Il serait mille fois plus juste que ce soit toi qui me tues ». (p. 80).
 
Le nouveau roman d’Amélie Nothomb est un conte, inspiré d’Oscar Wilde. Un conte qui se déroule en Belgique, dans le tout petit milieu de l’aristocratie. Les Neville sont nobles et sans le sou depuis quelques générations. Ils se sont saignés pour préserver leur château et donner des réceptions. Ils ne mangent pas à leur faim, mais cela n’a pas d’importance. Ce sont des hôtes magnifiques et généreux qui sacrifient aux codes de leur caste.
 
« Au sein de l’espèce humaine, Henri considérait les invités comme des élus. L’invité était celui que l’on espérait et attendait chez soi depuis toujours, dont la venue était préparée avec une attention extrême ». (p. 33)

Les Neville sont sympathiques et déjantés, Nothomb ne dresse en aucun cas un portrait à charge de l’aristocratie. Ses personnages sont attachants, préoccupés, mais soumis à des impératifs qui les dépassent et auxquels il n’est jamais question de se dérober. Même au bord du gouffre financier, on tient son rang, et on le tient avec aisance, avec joie.
 
« [Neville] embrassait, faisait le baisemain, éclatait d’un rire chaleureux, admirait les robes, se réjouissait d’une guérison, saluait le succès d’un projet, déplorait un poignet foulé, s’extasiait sur la croissance des enfants. Il était l’hôte absolu, solaire, il avait fait cela toute sa vie ». (p. 125)

La prédiction de la voyante n’est pas mise en doute, quelqu’un doit mourir par sa main lors de la réception, donc le comte Neville passe en revue la liste des invités, et tente d’arrêter son choix sur l’un d’eux. Jusqu’à ce que sa fille se propose comme victime.
 
Le propre du conte, c’est d’aller jusqu’au bout de la logique. Après, tout de même, une longue discussion aussi serrée que tragi-comique, le père accepte la demande de sa fille. Mais voilà, un spectacle a été prévu lors de la garden-party, une cantatrice vient chanter des lieder de Schubert. Et la musique de Schubert, il n’y a rien de tel pour vous bouleverser, et vous faire vous sentir vivante. Sérieuse a désormais envie de vivre. Pour que l’histoire soit bouclée, une mort surviendra effectivement, une sorte de meurtre au champagne.
 
Ce court roman n’est pas qu’une pétillante comédie réussie. Amélie Nothomb s’amuse à la  fois avec la noblesse belge et ses souvenirs d’enfance – dans la vidéo de présentation de son roman, sur le site des éditions Albin-Michel, elle avoue avoir souvent eu envie de tuer les invités des trop fréquentes réceptions que donnait son père, ambassadeur. Mais avec le personnage de Sérieuse elle creuse le mystère des filles à l’adolescence. Les prénoms de la tragédie sont contrebalancés par l’absurde et le comique. La tragédie, cependant, rôde, « retournée » par la pirouette finale.
 
Ce très bon roman, à la fois léger et grave, se dévore d’une traite.

Christine Bini 
(15/10/15)    
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Editions Albin Michel

(Août 2015)
144 pages - 15 €









Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
www.amelie-
nothomb.com










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