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Anne PERCIN


Sous la vague


« Une certaine bêtise est indispensable. »
(Jean Cocteau)   


Rien ne va plus pour Bertrand Berger-Laffitte, directeur général des cognacs du même nom. Sa femme, dont il est divorcé, est devenue présidente du conseil d'administration et veut l'amener à vendre ses parts au profit de son nouveau compagnon, important actionnaire de la société. On est en mars 2011, le tsunami et le risque d'explosion nucléaire à Fukushima préoccupent toute la planète. Les Japonais étant les principaux clients de Berger-Laffitte, les cours s'effondrent.
Sa fille qui a choisi de vivre avec lui, lui annonce qu'elle est enceinte. Le père est syndicaliste, ouvrier dans l'usine familiale.

Alors Bertrand se réfugie dans sa confortable Mercedes conduite par Eddy, son étrange chauffeur, un homme jeune, discret, efficace, érudit, mais dont Bertrand ne sait absolument rien et dont le lecteur subodore le mafioso sous les apparences classieuses. « Le chauffeur n'eut aucune réaction. Il continuait à gratter la casserole. […] De ses manches de chemise retroussées dépassaient deux avant-bras musclés, dont l'abondante pilosité cachait à grand-peine des tatouages envahissants. »

Puis le patron dépossédé se réfugiera de plus en plus "au Paradis", le chai ou décante le cognac, au grenier où il retrouve les jouets de sa fille et à l'écurie où il soigne un faon blessé par sa voiture.

Si le mécanisme du démantèlement de l'entreprise est clairement et ironiquement décrit, le roman d'Anne Percin est traversé par la beauté fulgurante de ce faon qui heurte la Mercedes dès les premières pages du livre. « Le flanc du chevrillard où des taches blanches dans la lumière des phares ressemblaient aux trouées de soleil à travers les feuillages, les jours d’été en forêt. » Ce chevreuil laisse derrière lui comme une traînée de poussières d'étoiles. Comme un thème musical, celui de l'animalité, de la liberté, de la sauvagerie, de "l'infans", va sans cesse être repris et traverser toute l'histoire de cet héritier dépouillé qui, les mains nues, retrouve les gestes de l'enfance,
« Bertrand se pencha en avant pour entourer le cercle de buée d’un autre cercle.
– Vous voyez ce que c'est ?
Cette fois, Eddy sourit franchement.
– Un Mexicain vu de haut, monsieur.
Bertrand le regarda, pris d'une euphorie enfantine.
– Ha, ha ! Vous connaissez ce jeu ? C'est épatant, mon vieux. Moi, ça vient juste de me revenir.
 […]
Bientôt les vitres furent couvertes de figures géométriques. […] Après cela l'orage cessa, et il n'y eut plus un seul coin de buée disponible sur les vitres. »
pour s'écrouler en larmes devant la cassette du Roi Lion mâchouillée par sa fille, petite.

« Il avait souvent visionné ce dessin animé avec elle et se souvenait du film avec une précision cruelle. Surtout de cette ellipse audacieuse qui montrait le lionceau Simba, marchant avec ses nouveaux amis sur le tronc d'un arbre qui servait de pont entre deux rives. Au fur et à mesure de son avancée, rythmée par une chanson, on le voyait grandir. Parvenu sur l'autre rive, c'était un lion adulte. Olivia pleurait toujours à ce moment-là. Elle ne comprenait pas pourquoi le petit lion avait disparu. […] Le petit lion n'était plus, ne serait plus jamais. C'était la vérité. L'enfance ne reviendrait pas. »

Au fur et à mesure que les magazines de bon ton aux pages glacées disposés en évidence sur les tables basses du salon sont remplacés par des journaux dénonçant les malfaisances du libéralisme, au fur et à mesure que Bertrand lâche prise, perd son intelligence d'homme d'affaires et retrouve "la bêtise des poètes", « les deux petites bosses couvertes de poils » qui pointaient sur le front du chevrillard blessé sont bien porteuses de promesse, comme le ventre d'Olivia, comme la colère qui gronde à l'usine. La vie serait plus têtue que la mort, l'humain plus fort que le cynisme des marchés et si "l'enfance ne revient jamais", il en reste des éclairs, des bouffées, des instants magiques : un dessin sur la buée d'une vitre, une voix céleste qui s'élève dans l'habitacle d'une voiture, la nuit, et « vous emporte vers un pays d'aventures ».

De Sous la vague s'élève une obsédante ritournelle propre à Anne Percin, de celles qui vous mordent cruellement le cœur mais d'où surgira, on le sait, comme un pavé lancé, la beauté.

Sylvie Lansade 
(19/09/16)    



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Lectures








Editions du Rouergue

(Août 2016)
208 pages - 18,80 €



Photo © John Foley / Opale
Anne Percin,
née en 1970 à Épinal,
a déjà publié une quinzaine de livres pour les adultes
et la jeunesse.


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Anne Percin



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