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Claude PUJADE-RENAUD

Sans tambour ni trompette



Cinq nouvelles jouant avec brièveté (2 à 24 pages) sur des correspondances inattendues, des associations de hasard, facteurs parfois d'instants d'harmonie, lumineux mais si vite disparus, venus comblés le vide et la solitude.

Dans la nouvelle titre, le tambour de la machine à laver en mode essorage calque son rythme sur la trompette de Louis Armstrong diffusé à la radio. De quoi animer la  maison vide d'une femme et lui faire oublier la peine et l'ennui avec quelques pas de danse. Mais si la musique est immortelle, l'électroménager est lui doté d'une obsolescence programmée...

Puis c'est un jeune curé enterré dans une petite paroisse rurale qui, pour supporter l'ennui et le caractère répétitif et insipide des confessions de ses ouailles, se focalise (non sans sensualité) sur les voix, leur tonalité et leur palette de variations pour distribuer ses punitions à l'aune du plaisir ressenti à l'écoute… L'oreille bienveillante de l'homme d'église pourrait-elle se muter à notre ère en « boîte vocale » ?

Solitude encore chez une septuagénaire avec pour seule compagnie une vieille chatte avec laquelle  elle a partagé l'amour du même homme, aujourd'hui disparu. Les deux êtres se rejoignent dans une connivence quasi animale, mystérieuse et génératrice pour la femme d'autant de curiosité que d'apaisement.  (Le monstre de la chatte)

Les deux dernières nouvelles opèrent un élargissement de l'intimité à la vie extérieure :
Deux femmes écrivains, l'une juive et l'autre fille de nazi, se trouvent ainsi, de façon fort improbable et avec une certaine ironie du sort, réunies par les circonstances parfaitement identiques à sept ans d'écart, à Rio et à Rome, de leur mort.  (Deux cigarettes)

Quant à L'oiseau de paradis, la plus longue nouvelle du recueil, c'est dans le joyeux bordel des années 70 à Vincennes, au présent d'un cours  d'université avec la parole des élèves et celle de leur professeur qui s'entremêlent, dans ce bâtiment qui bourdonne autour d'eux, avec la vie qui grouille aux abords, que s'ancre le récit. Là, les concomitances ou signes s'y révèlent si nombreux, voire contradictoires, que le professeur, par ailleurs troublé par la superbe paire de jambes d'une de ses élèves, peine à démêler la pelote. Il faut dire que trouver un sens commun entre une vache roumaine, une gamine privée de piscine par un père intégriste, un président séquestré et des agents d'entretien en grève, relève du pur numéro d'équilibriste...

Bien ancrées dans le réel et sous une apparence de quotidien et de banalité, ces nouvelles témoignent néanmoins assez rapidement d'un goût prononcé pour la métaphysique, l’impressionnisme et le mystère. On y navigue de l'intime à l'universel, y glisse en un instant du cocasse au tragique, ou l'inverse. Le lecteur, happé par la profondeur qui s'esquisse en arrière-plan, craignant de voir quelques références ou symboles lui échapper, surpris, déstabilisé parfois, finit par se laisser prendre au charme de ces récits ambigus. 

Il devient facile alors à Claude Pujade-Renaud, de l’entraîner, d'une façon alerte et sans en avoir l'air, dans la forêt obscure du conte moderne qu'elle construit, où la solitude, le racisme et la bêtise humaine pourraient avoir une gueule de loup, et les paroles, les caresses, l'amour et la musique, celle de l'agneau. 

Et comme dans la vie, sitôt saisi le bonheur s'échappe et c'est avec un léger sentiment de soif non totalement épanchée que l'on referme le recueil, conquis mais frustré par sa brièveté.
C'est tout simplement superbement écrit, intelligent, étrange et émouvant.

Dominique Baillon-Lalande 
(01/10/15)    



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Rhubarbe

(Août 2015)
60 pages - 7 €




Photo © John Folay - Opale
Claude Pujade-Renaud
, danseuse, chorégraphe, nouvelliste et romancière, est l’auteur d’une trentaine de livres qui lui ont valu plusieurs prix littéraires.



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