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Pascale PUJOL


Petits plats de résistance


L'action se déroule à Paris, dans le quartier de Montmartre, en vingt-sept chapitres qui portent en titre le nom d'un plat différent. Chacun tourne autour d'un personnage pris comme narrateur.
Au centre, il y a Sandrine Cordier, passionnée de cuisine mais gagnant par défaut sa vie à Pôle Emploi. C'est une employée consciencieuse à l’excès qui fait payer bien cher aux chômeurs impénitents dont elle suit le dossier sa frustration d'être là.  Un agent qui s'est taillé une belle réputation de championne des radiations grâce à un flair et un sérieux inégalés dans l'agence et comme experte tueuse auprès des  demandeurs d'emploi.
« Aider de braves citoyens à trouver du boulot, des formations ou au moins reprendre confiance en leur potentiel professionnel ne l'avait jamais beaucoup passionnée ; elle jugeait que seuls les faibles et les profiteurs arrivaient jusqu'à Pôle Emploi. Les faibles – ceux qui avaient de réels problèmes d'insertion professionnelle, des accidents de la vie – l'ennuyaient à mourir. Les autres, en revanche, l’intéressaient plus : les feignants, les sournois, les mythomanes, les illuminés aussi. [...] Débusquer et mettre en échec les stratégies compliquées s'était d'abord avéré un jeu délectable auquel elle excellait, puis c'était vite devenu une drogue. »
C'est une femme affirmée, gourmande et dodue, qui partage sa vie avec son mari, Guillaume, un employé qui pour arrondir ses fins de mois et pouvoir passer tous ses tickets resto à sa femme s'adonne à la revente sous le manteau de journaux volés lors de l'approvisionnement des kiosques.
Vivent avec eux leur fille Juliette âgée de 12 ans surdouée et fan d'informatique et un fils Aurélien que seuls la mode et les défilés de haute-couture semblent mobiliser. Avec eux, depuis peu vit aussi 
Marité, mère de Guillaume qui, avec son ancien poste de comptable au noir dans un sex-shop et la demi-retraite de son époux décédé, n'a pu garder son logement. Une vieille énergique, originale et encore séduisante qui fait équipe avec sa petite-fille pour des activités numériques un peu particulières.

Quand Sandrine reçoit dans son bureau  Antoine Lacuenta, agrégé d'histoire-géo, doté d'un CAP de cuisine, d'une ferveur écologiste et d'un rejet de la hiérarchie qui expliquent ses fâcheries avec l'emploi, le garçon l’intéresse. Elle lui dégottera même une formation de cuisine bio en se reprenant à rêver du restaurant qu'elle aurait tant aimé ouvrir.  
Antoine vit dans un foyer de travailleurs sur le déclin, géré par un Alsacien sympathique qui ne jure que par le chou, auprès d'un géant noir autoproclamé conseiller des autres résidents et leurs proches et longtemps gagnant des concours de cuisine organisés sur place entre les diverses nationalités. Il y côtoie un jeune Tamoul, issu d'une longue lignée de cuisiniers, qui fait la plonge dans un resto au noir en attendant de trouver une place en cuisine. Ensemble, ceux-là constituent une vraie tribu.

À ces deux protagonistes, à ceux qui les entourent et leurs univers, s'ajoute celui de la grande entreprise de Presse et du groupe Lacarrière résumé à son riche patron Marcel, flanqué d'un fils incapable de faire autre chose que de baiser et dilapider l'argent familial, de Bricard, son bras droit, d'une fidélité à toute épreuve et fort en magouilles pour satisfaire les besoins du patron et d'un informaticien libidineux et voyeur à ses heures…
Un monde des hautes sphères inconnu de la famille Cordier si ce n'est par les journaux people qu'ils découvrent aléatoirement.
Il faudra un sacré coup de main du hasard et la détermination sans faille de Sandrine, pour que les destins se croisent…

Et Montmartre n'échappant pas à la pression immobilière de l'ensemble de la capitale, l'agent immobilier Benoliel trouvera aussi une place dans ce scénario ainsi qu'une habitante du quartier singulière, la jeune Véronique Lamoul, devenue Annabelle Villemin-Dubreuil lors de son glissement de l'enseignement des longues orientales à la rubrique ''cœur et sexualité'' du plus grand concurrent des Lacarrière.  

 

Au gré des chapitres, cet improbable assemblage va nous livrer leurs recettes pour redresser un groupe de presse moribond, créer un e-commerce de sex-toys pour les plus de soixante ans, éventer les arnaques des agences immobilières, prôner la consommation bio, équitable et responsable, gérer un centre social de façon participative et convaincre le tribunal de la pertinence d'un nouveau modèle économique. 
La famille, l'amitié, l'argent, l’intérêt ou le plaisir, serviront de sauce aux différents plats offerts au menu de cette micro-société bienveillante où la débrouillardise et l'embrouille font loi.
Sans oublier l'importance des yeux dans le bouillon... 

      
Un premier roman à la carte – qui pourrait aussi se lire comme une succession de nouvelles centrée sur les sens et le plaisir – truculent et rocambolesque qui sait se faire comédie sociale à partir d'une farandole de personnages qui ne manquent ni de tempérament ni d'attraits. 
Évoquer les questions de l'emploi, de l’immigration, de la mixité, des difficultés de la presse écrite et du développement du numérique et oser l'économie alternative et solidaire sous couvert de la farce (car il y a aussi beaucoup de théâtralité dans tout cela) est un pari audacieux mais ici pleinement gagné. 
C'est intelligent et inventif, drôle et enlevé mais, au-delà de l’exercice brillant et drôle, c'est le constat de notre société en crise et la capacité de ceux qui la subissent à inventer de nouvelles pratiques armés d'une morale basée sur la débrouille et le collectif, qu'esquisse avec ses couleurs ce chœur moderne.

Réalisme et fantaisie s'entremêlent avec fluidité en s'appuyant sur des petites observations de notre quotidien, des protagonistes crédibles même si parfois ils ''se la jouent'', un récit bien ficelé et une écriture très plastique qui s'adapte avec souplesse à tous les milieux et contextes sans bouder les répliques à la Audiard, pour un tour de piste digne d'un clown qui rirait de tout de peur d'en pleurer.

Un divertissement de grande qualité parfait pour éclairer les rentrées épuisantes ou moroses.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/08/15)    



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Lectures








Le Dilettante

(Août 2015)
256 pages - 19 €



Livre de poche

(Octobre 2017)
320 pages - 7,60 €












Pascale Pujol
a déjà publié un recueil
de nouvelles, Fragments d'un texto amoureux (Quadrature, 2014). Petits plats de résistance est
son premier roman.