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Atiq RAHIMI


La ballade du calame



L’enfance, l’exil, l’écriture, l’image, la calligraphie sont les fils conducteurs de ce livre, des fils si fortement tressés qu’ils constituent la trame d’une vie d’homme et surtout d’artiste, des fils qui mènent Atiq Rahimi vers le roman, la réalisation de films et la création de "callimorphies". Ce récit du parcours d’un créateur, à la fois passionnant et superbe, est parsemé de citations des auteurs qui l’ont influencé et illustré par des callimorphies, cette alliance de signes et de formes délicate et émouvante.

L’enfance, c’est l’Afghanistan et l’école de Kaboul où le petit Atiq n’est pas brillant dans les cours de calligraphie. Moi, je ratais tout le temps, comme aujourd’hui. Les traits, je n’ai jamais su les tracer bien droitement, verticalement, identiquement. Ils étaient toujours légèrement penchés à droite, un peu recourbés, de différentes proportions.
L’enfant préférait le dessin où il progressait grâce à l’aide de sa mère qui enseignait les beaux-arts dans un lycée de filles.
Son père était juge de la Cour suprême quand il fut arrêté en 1973 et condamné à dix ans de prison pour un crime jamais défini. Le grand-père disait que son forfait avait été de dire qu’avec ce coup d’État l’Afghanistan avait perdu sa première lettre pour devenir Fghanistan. Ce qui dans notre langue signifie : terre de cri et de plainte. Dix ans de prison pour un jeu de mots. En fait, il est libéré au bout de trois ans mais, pour effacer toute trace de l’humiliation subie, il choisit de partir en Inde avec sa femme, sans les enfants. Exil des parents, solitude des enfants. Après le coup d’État des communistes en 1978, le père demande aux enfants de le rejoindre. Le frère aîné, devenu communiste, refuse mais Atiq accepte.

Premier exil. Il découvre la culture indienne.  Il a le sentiment d’y trouver sa véritable identité.
Je suis né en Inde
incarné en Afghanistan
et réincarné en France.
Quel karma j’ai !
À seize ans, il admire les scènes d’amour gravées dans la pierre des temples, sculptées avec tant de sensualité, dans un lieu sacré.
Ma culture islamique considère le corps comme une enveloppe périssable, faite d’argile séchée, de boue pétrie. La nudité y est un péché, ainsi que tous ses corollaires : le désir, le sexe, la volupté…
Découverte fascinante pour un adolescent : l’amour n’est pas un péché !

Deuxième exil, en 1984, en France où il demande l’asile culturel et non politique.
Culturel parce que je ne me reconnaissais plus ni dans l’idéologie communiste de mon frère, ni dans la foi musulmane de la résistance.
Pas encore prêt à écrire en français et n’ayant pas envie d’écrire en persan, il choisit de devenir cinéaste.
En 2000, le deuil de son frère tué à la guerre imposera le recours à l’écriture, en persan. Terres de cendres est traduit en français et publié chez POL.  Deux autres livres traduits du persan paraîtront chez le même éditeur avant Syngué sabour Pierre de patience, écrit directement en France et qui reçoit le prix Goncourt 2008.
Côté cinéma, après des documentaires, il adapte Terre de cendres et Syngué sabour en longs métrages qui lui vaudront aussi plusieurs récompenses.

Mais ce qui occupe une grande part de cette Ballade du calame c’est le lien qu’il a peu à peu établi entre la calligraphie et l’image pour créer ses « callimorphies ».
La calligraphie, il s’y est remis entre autres, pour dédicacer ses livres, au bonheur de mes lecteurs qui aimaient, et aiment toujours, avoir un mot ou un vers écrit soigneusement dans ma langue.
Pour ce faire, il reprend des cours, rencontre des calligraphes, s’ouvre à d’autres cultures…
Mais les signes, les traits, peuvent composer autre chose que des mots. Peu à peu des formes émergent du tracé. Des silhouettes, des visages, des corps  de femmes… Ce qu'il nomme "callimorphies".
Le livre en présente une vingtaine en décrivant leur naissance sur la feuille blanche. Une partie passionnante de ce roman au cœur du mystère de la création.

Pour étayer sa réflexion ou illustrer ses propos, Atiq Rahimi évoque de nombreux auteurs, des poètes, des calligraphes, des philosophes, de toutes origines, par de nombreuses citations au fil du texte et des références bibliographiques en fin d’ouvrage. On y croise aussi bien Henri Gougaud ou Nicolas Bouvier que Ghani Alani ou Hassan Massoudy, Rabindranâth Tagore ou François Cheng, Henri Michaux ou Pascal Quignard…

L’ensemble est d’une grande richesse, graphique et littéraire, et on en sort fasciné, désireux d’en savoir encore plus sur cet artiste, prêt à lire tous ses livres, voir ses films et visiter les galeries où sont exposées ses œuvres. Alchimie de l’intime et de l’universel, ces pages parlent d’exil et d’amour, de religion et de révolte, de solitude et de rencontres, elles nous éclairent sur la démarche et la pensée d’un véritable créateur. Un livre à la fois profond et lumineux.

Serge Cabrol 
(24/09/15)    



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L'Iconoclaste

(Août 2015)
208 pages - 18 €








Atiq Rahimi
,
né à Kaboul en 1962, cinéaste et romancier, a obtenu le prix Goncourt en 2008 pour Syngué sabour.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia






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