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Lora Sander était actrice au « Magic Théâtre » que dirigeait Zuka, son mari et père de son grand fils Giorgio, quand une dictature mit l'Azirie sous sa coupe. Le fils s'engage dans la lutte armée, le metteur en scène est arrêté pour « incitation à la sédition », le théâtre ferme, et il ne reste à lora qu'à fuir avant que ce ne soit son tour. La « petite fille de presque cinquante ans » jusque-là protégée par son metteur en scène et mari, doit soudainement se prendre seule en charge. Une fois débarquée illégalement et sans visa, il lui reste à éviter de se faire repérer et à gagner Santaré par la route sous la seule protection du colt 45 donné par son père. Là, elle devrait retrouver d'anciennes relations professionnelles pour l'accueillir.
Dans cette fable contemporaine sur l'exil, dans ce récit-théâtre qui évoque l'émancipation de la femme, la narratrice, soudainement exposée à une réalité à laquelle rien ne l'a préparée, raconte sans pathos ni misérabilisme la violence et l'arbitraire devenus lois. Au fil de ses rencontres, bénéfiques ou sordides, avec les béquilles offertes par les rôles qu'elle a autrefois joués sur scène qui nourrissent ses nouvelles et âpres expériences, elle témoigne de la dureté de la vie des réfugiés, entre vols, viols, misère et exploitation, et se bat non seulement pour rester entière et vivante mais aussi pour exister par elle-même. Et dépouillée de tout sauf du colt qui lui sert d'ange gardien, l'héroïne, s'affirme, se transforme, se découvre face à l'adversité, transformant le récit politique ancré dans le réel en roman d'initiation. Le choix de situer cette histoire dans des lieux fictifs, de le situer au cœur du chaos, de la guerre et de la dictature, d'évoquer l'exil et la migration, confère au roman une dimension humaniste intemporelle et universelle. Et loin de reléguer Lora au rang de figurante, ce grand angle permet à l'héroïne, à travers son parcours individuel face à cette violence et cette folie, d'incarner la condition féminine dans son ensemble et plus particulièrement cette autre guerre qu'il leur faut mener en permanence pour conquérir ou conserver leur liberté. Le texte se construit à partir d'une alternance entre des passages à la première personne où l'actrice raconte les épisodes de son exil ou se confie, et des passages informatifs à la troisième personne qui apportent des précisions sur le décor, ses gestes, son habillement comme le feraient les didascalies pour un monologue de théâtre. Ces passages installent un regard extérieur, une distance, autant qu'ils accompagnent la progression du récit en introduisant les différentes scènes. L'écriture est sobre, donnant par cette retenue une impression de simplicité mais aussi parfois de froideur clinique. Il suffit cependant de s'y pencher de plus près pour percevoir une réelle sensibilité et beaucoup d'émotion dans l'ombre même des mots ou dans les blancs laissés par le texte. Dans ce jeu entre noirceur et pureté, ombre et lumière, la grise neutralité ne trouve aucune place. J'y ai pour ma part perçu comme une pudeur des sentiments, une brutalité du style venue faire écho à la dureté des situations et à la détermination obstinée de l'héroïne. Un livre dense (à peine une centaine de pages) et puissant sur la barbarie du monde, sur la lutte, l'engagement, l'Art et la condition féminine, qui se dévore d'une traite. Un cri qui suscite et creuse en profondeur une réflexion teintée de noir mais aussi d'esprit de résistance, qu'il est bon d'entendre. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Le Tripode (Janvier 2016) 112 pages - 15 €
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