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Pascale ROZE

Passage de l'amour



Un recueil dédié par l'auteur à son mari, Claude Delarue, écrivain genevois décédé en 2001 lors d'une greffe cardiaque. Dix-huit variations sur l'amour où on trouve en fil rouge la vie du couple et sa lutte contre la maladie.

Lors d'un "Week end à Cabourg", l'écrivain et sa femme, au jury du festival du film romantique, se déchirent.
Une femme s'apprête à fêter l'anniversaire de sa rencontre avec son amant comme chaque année à la Comédie-Française, lieu de leur rencontre, quand elle s'aperçoit qu'il a oublié son billet d'entrée... (Avant quoi ?)
"La Tristesse" évoque l'écrivain dans sa solitude.
"Le chevalier de Doublecœur" doit son nom digne d'un roman d'aventures au pacemaker qui a un premier temps pallié aux défaillances du cœur de l'être aimé.
Dans "Kuta", l'homme, en vacances à Bali avec sa compagne, se bat encore, avec appétit. Crainte aussi.
"Supporter" raconte la vie au ralenti de l'homme prêt à renoncer, qui prend progressivement congé des êtres et des choses, miné par l'espoir et l'attente d'une greffe. Puis c'est le double rendez-vous manqué lors de l'annonce par l'hôpital d'un cœur disponible : elle, en déplacement, n'ayant pu l'accompagner, lui ne survivant pas à l'opération.

Mais chez Pascale Roze le spectre amoureux ne se limite ni à sa relation à son mari, ni au couple tout court. Il se dévoile au pluriel.
En Russie, une comédienne, veuve, en lutte avec le passé et l'alcoolisme, retrouve le meilleur ami de son mari des années après l'accident qui a valu la mort, après une scène conjugale, à son compagnon. Avec celui-là, qui est à la fois l'autre et lui-même, elle rêve d'une résurrection. (Macha)
Une femme en passe de rupture, lors d'un voyage en train, rencontre un vieux paysan parti en pèlerinage à Quissac à côté de Nîmes, comme chaque année depuis douze ans, pour fleurir de zinnias la tombe de sa femme, alors que ses jambes le font souffrir et qu'il peine à se déplacer. (Dans les Alpes)
Une femme évoque ce poète qui offre des roses à ces femmes qui vont vers lui alors qu'il ne demande rien, qui l'a séduite quelque temps... (Un poète) et ce séducteur (Carnet de bal) qui soigne chacune comme l'unique émergée de la multitude.
« Chacun de notre côté, nous étions suivis et précédés. Nous avions, silencieusement, fait comme des pas de danse sur un même chemin. » (Carnet de bal)
Une femme balance entre deux amours face à son désir d'enfant et « l'enfant vint, Ludovic. Un enfant, cela ne supporte ni adjectif, ni complément, ni comparaison, il est la réalité absolue, le mot nu. » (Bercail)
Et la nouvelle titre, ''Passage de l'amour'', très brève, évoque Cupidon : « Ne traînez pas. Qui dit qu'un jour il ne se lassera pas de courir nos chemins, le bel enfant, qu'ôtant son carquois il ne s'assoira pas au pied d'un arbre en maugréant : j'en ai marre. »

L'amour peut aussi être filial avec :
L'émerveillement de retrouver chez un fils la passion pour Phèdre de Platon qui ramène la mère à sa propre enfance et au souvenir de ses cours de danse (Le cours de danse)
La mère qui encourage sa fille trisomique, 12 ans, à réciter une poésie devant ses amies (Une enfant).
La relation d'une femme face à sa mère, empreinte d'enfance : « Sa mère disait qu'elle n'avait qu'à aller au CES de Tronget comme ses frères et sœurs. Et finalement le sort l'avait contredite : elle avait été la première fille des corons à entrer au lycée. Le matin elle montait dans le bus de la garnison qui allait à Moulins. Sa mère, hostile, l'ignorait ouvertement. [...] Que s'est-il passé pour que, par un retournement extraordinaire de son âme [...] elle ressente de la peine pour sa mère ? [...] Pas seulement pour son malheur d'avoir quitté Can Tho et son village [...], pas seulement pour avoir dû quitter Noyant où elle pouvait tout de même pousser ses herbes dans le jardin et avoir des poulets, où les voisines étaient comme elle, mais aussi parce qu'elle avait eu neuf enfants et un mari qui jouait aux dés et au mah-jong chez les voisins et qui ne lui adressait jamais un mot gentil, n'avait jamais une attention pour elle et la méprisait parce qu'il était fils d'un douanier français [...] Sa mère maintenant sourde et attendant la mort dans une maison faite pour ça. Elle cherche l'endroit de sa rancœur et ne le trouve plus. » (Noyant-d'Allier).

L'Indochine et la mer sont deux autres thèmes qui colorent le recueil en écho aux souvenirs personnels de l'auteur (Thanh où un vieux vietnamien, petit-fils d'un empereur d'Annam, qui vit à Évry se souvient de son pays et de l'école française avec nostalgie, Noyant-d'Allier déjà évoquée, En mer)
« On n'a jamais dit les blancs, c'est Marguerite Duras qui a inventé ça. Nous disions les Européens, les métropolitains. Non, ma famille n'était pas naturalisée. On l'a offert à mon père mais il n'a pas voulu. Il était nationaliste, il militait au Dai Viet, mais oui, le grand Vietnam [...] Je préfère être le premier des Annamites que le dernier des Français, disait mon père. [...] Dans le lycée il y avait deux tiers d'européens et un tiers d'indigènes. Non, je n'ai pas souvenir de racisme. Nous souffrions de la nourriture. [...] Mon père avait fait ses études en France. Il était fier de ses palmes académiques. [...] Non, vous vous trompez, les études montrent que la France n'a tiré aucun enrichissement de la colonisation de l'Indochine, au contraire elle en a été appauvrie. La colonisation a profité à certains Français, à ceux de la Banque de l'Indochine, aux gens comme vous. Elle n'a pas profité à la France. » (Thanh)
Le théâtre (En mer, Avant quoi, Macha) également.

''En mer'', la première nouvelle du recueil et la plus longue jouit d'un statut particulier. Une femme plie consciencieusement ses vêtements avant de descendre nue l'échelle du bateau sur lequel elle passe ses vacances avec un couple d'amis alors que juste avant son départ elle a appris qu'elle ne serait pas retenue pour ce rôle des Trois sœurs de Tchekhov qui la faisait rêver. C'est alors que déterminée à mourir mais mue par une énergie et un instinct de survie formidables, elle se bat contre les flots jusqu'à rencontrer un bateau providentiel. Une nouvelle vie s'offre à elle. Un symbole qui pourrait résumer l'ensemble du recueil.

Le "Sphinx des peupliers"' vient clore le recueil et le cycle de la maladie du cœur, liant l'histoire personnelle à celle des amants, l'enfance à la mort, dans un formidable élan de vie.

L'auteur a voulu dans ce livre évoquer la douleur d'accompagner la maladie dans la plus grande impuissance, la terreur de l'autre, mais aussi l'amour qui rend fort, comme elle l'explique dans une émission à France Inter à Frédéric Mitterrand. C'est ici du combat de celle qui demeure, la survivante, qu'il s'agit.

L'amour sous toutes ses formes se reçoit et modifie la vie. Et si la maladie, la mort, la perte et le manque y sont bien présents, le livre est irradié d'une force de vie, de joie, qui surgissent dans le vide et la douleur. Toujours ici les fragments de vie qui se tissent, entre peur et confiance, déchirement et surgissement de bonheur, tentent de saisir l'essentiel et parient sur le rétablissement. La joie de vivre se travaille et se mérite.

La force des détails génère des vibrations comme des ricochets à la surface de l'eau, la condensation de la langue et la minutie de chaque description fouillent avec délicatesse, pudeur et sensibilité, les espoirs et les angoisses de ses personnages vrais ou fictifs, et cela donne à chacune de ces expériences un relief particulier.

« J'ai voulu que les éléments de ma vie trouvent place dans ce recueil sous forme d'histoires : l'enfance marine, le théâtre, l'Indochine, le couple, la maladie et la mort, mais aussi ma joie et ma confiance. Que les mélodies se répondent en mode majeur ou mineur, comme dans un album de chansons. » livrait Pascal Roze dans une interview.
C'est effectivement un puzzle nostalgique, douloureux mais lumineux nourri de l'urgence de vivre et d'aimer qu'elle nous offre ici.
Un recueil à découvrir.

Dominique Baillon-Lalande 
(19/05/14)    



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Stock

(Janvier 2014)
176 pages - 18 €









Pascale Roze,
née au Vietnam en 1954, a publié une dizaine de livres (romans, récits, nouvelles) et obtenu, entre autres,
le Prix Goncourt 1996
pour Le Chasseur Zéro.



Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :

www.pascaleroze.fr