Retour à l'accueil du site | ||||||||
Vera Kaplan est juive. Elle est née à Berlin en 1922 dans une famille aisée. Son père était un célèbre journaliste sportif pour le plus grand journal de la capitale mais cela n'évitera à sa famille sous l'Allemagne nazie ni l'étoile jaune, ni le licenciement, ni la faim et la clandestinité. Vera est une jeune fille révoltée par la naïveté et la docilité de son peuple, farouchement déterminée à survivre, à ne pas renoncer. « Moi, j'ai l'impression que je me bat à ma façon. En restant en vie, en refusant d'accepter de devenir une de leurs victimes, je me conduis comme un être humain, pas comme une vache docile qu'on mène à l'abattoir. C'est devenu parfaitement clair ces derniers jours. Je vais me sauver. » À la fin de la guerre, elle sera jugée et condamnée à dix ans de prison. « Au nom des hommes, je devais être coupable. Il ne pouvait en être autrement et je n'ai jamais cherché à me disculper. J'ai accepté ma condamnation parce que je savais que mon emprisonnement était nécessaire pour apaiser leur douleur. » dira-t-elle à son procès. Sa fille lui sera enlevée pour être finalement adoptée par un couple juif vivant en Israël. Jamais, malgré les recherches menées à sa sortie de prison, elle n'en apprendra plus malgré l'avocat chèrement payé pour retrouver sa trace. Il lui a fallu accepter que jamais elle ne reverrait son enfant. Alors pour s'en rapprocher elle renoue avec sa culture et sa langue et lui écrit chaque jour dans l'infime espoir qu'un jour ses lettres lui parviennent. Cela lui aura aussi permis de devenir à la quarantaine, sous un autre nom, une interprète allemand-hébreu réputée. À Tel-Aviv, en 1998, un jeune homme apprend par un courrier la mort de sa grand-mère, Vera Kaplan, dont il ignorait jusque-là l’existence. La lettre qu’un notaire de Wiesbaden (Allemagne) a adressée à sa mère Paula, décédée depuis trois ans, est accompagnée de deux carnets écrits à plus de cinquante ans d’écart : le journal intime de Vera en 1944, et un cahier écrit les jours précédant son suicide. Quand le petit-fils retourne à Montréal où il a fait ses études, où il fondera enfin une famille, il cachera les cahiers au fond d'un tiroir sans plus y revenir.
Pour ce roman, Laurent Sagalovitsch s'est librement inspiré du destin d'une belle Juive allemande très aryenne d'apparence (Stella Goldschlag) qui fut contrainte par les nazis de collaborer à la recherche des Juifs cachés à Berlin pour sauver sa vie et celle de sa famille. À la fin de la guerre, seule survivante, elle choisit la clandestinité mais sera arrêtée en octobre 45 par les Soviétiques qui la condamnèrent à dix ans de travaux forcés et lui enlevèrent son enfant. À sa libération, un autre procès l'attendait en Allemagne mais les deux peines furent confondues. Les documents présentés lors des procès d'après-guerre indiquent que les dénonciations de Stella Goldschlag auraient fait entre 600 et 3 000 victimes parmi les Juifs. Le stratagème du journal permet une intériorité prise sur le vif, offre un texte direct démuni de toute analyse morale ou psychologique qui par cela même met en relief toute l’ambivalence et la complexité du personnage face à l'horreur générale de la situation. Refusant d'endosser docilement le rôle de victime, pathologiquement accrochée à la vie, Vera s'est rangée du côté des nazis pour sauver sa peau et celle des siens. Et la conduite monstrueuse de cette jeune fille de dix-huit ans replacée dans son époque devient alors non excusable mais plus compréhensible. Pour ma part, j'ignorais l’existence même de cette fonction de rabatteur de Juifs tenue par d'autres Juifs et j'ai été plus choquée encore par la perversité de ceux qui avaient misé sur la pulsion de vie des plus jeunes d'entre eux pour les contraindre à trahir les leurs que par la trahison elle-même. À travers les deux récits de Vera, passé l'horreur première, j'ai fini par ressentir non de l'empathie ou de l'indulgence pour le personnage mais une certaine compréhension de l'engrenage dont elle avait été victime et de la fascination pour celle qui, à la fois bourreau et victime, avait eu un tel destin et persévérait cinquante ans après à l'assumer. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Buchet-Chastel (Août 2016) 160 pages - 13 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia |
||||||