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Thomas SANDOZ

Malenfance


Pouce, un gamin de onze ans, trouve dans une gare un chaton abandonné. Il l'observe, finit par le prendre avec lui, et en vient à rater son train.
Sous coup de l'émotion, il monte sans regarder dans le premier convoi qui se présente et se retrouve dans une région totalement inconnue de lui.
"Le convoi passe à proximité d'un complexe d'usines à l'abandon. Les cheminées de briques pâles menacent de s'effondrer sur des bâtiments en pattes d'araignée. La plupart des carreaux des fenêtres sont fendus ou cassés. Des stores en éventails ou des toilages pendent dans le vide. Ensuite ce sont les carrefours, des jardins populaires impeccables, des entrepôts de toutes formes. Raide sur le bord du siège, Pouce n'ose plus regarder à l'extérieur. Bleus en pagaille. Il se réveille, un pavé sur le ventre."

L'enfant perdu et déboussolé, pense aux siens qui doivent s'inquiéter et l'attendre : une mère froide et de plus en plus absente, un père tout à son travail qui s'efface peu à peu.
A la maison l'ambiance est lourde. Le gamin même se sent encombrant quand ses parents, dorénavant incapables de se supporter, se débarrassent de lui dès que possible pour régler leurs différends sans témoin.
Pouce s'inquiète de son retard et son trajet de retour perturbé, fait de sombres rencontres et de peurs face à la violence ou aux bizarreries des grands, dans le train ou sur la route, prend des allures d'errance et de quête.
"Rester sur ses gardes, toujours, tout le temps" comme le lui a si bien appris sa mère. "Il faut se méfier de chacun. [...] Pouce a tellement bien appris la leçon que maman peut désormais vaquer sans crainte à ses nouvelles occupations."

Mais le gamin est décidé à sauver le chaton qui a croisé sa route ,quitte à faire quelques larcins pour pouvoir le nourrir et à trouver la bonne direction pour le mettre au chaud. Chargé de la responsabilité de la pelote de poils qu'il a tout contre lui, il est porté par la détermination d'atteindre le domicile familial avant la tombée de la nuit.
"Pendant dix jours, Davy Crockett est descendu vers le sud en ne se nourrissant que d'herbe. Il n'a jamais perdu son sang froid. Et ni les Indiens voleurs de bétail, ni les crasses de son patron, ni les écueils naturels ne l'ont détourné de son objectif. Lui aussi sera courageux et tenace."
Pour s'aider, "Pouce laisse aller ses paupières, s'invente un amour plus fort que le temps qui passe, que les accrocs du quotidien, que les rêves voués à l'effondrement."

C'est une fois parvenu à bon port, devant sa maison, que Pouce prend conscience de la raideur du chaton.
"Il s'agenouille devant un buisson de viorne aubier, ramène de côté son sac, en tire son ''Alice'', en arrache les pages centrales, les étale et les pare de mousse. Pouce embrasse le chaton sur le museau, puis le serre longuement contre lui. L'embrasse encore et encore. Et couche délicatement le petit corps rendu au silence."
Puis il franchit la porte de chez lui. "Des espoirs de consolation plein la gorge, Pouce fait un pas en avant. Maman se raidit plus encore et fronce les sourcils. [...] Tout cela était vain, il était déjà trop tard. [...] Rien ne sera plus comme avant, pas même les souvenirs."

Cette traversée de l'inconnu ne sera rien devant le choc de la vérité qui l'attend à son retour : sa mère n'avait pas remarqué son absence…

Immergé dans une atmosphère étrange, entre rêves et réalités, avec une succession de tableaux sans lien les uns avec les autres mais assez effrayants pour le gamin accompagné par la figure omniprésente et douloureuse de cette mère qui s'éloigne face à l'impuissance du père, c'est à une sortie d'enfance, un parcours initiatique, que l'auteur nous invite ici.
Dans ce texte positionné à hauteur d'enfance, plein d'images et d'objets symboliques (Monopoly, voitures miniatures..), il nous entraîne au rythme des péripéties du môme dans un univers à la fois dangereux et poétique, entre drame familial, innocence enfantine et violence du monde extérieur.

On pourrait voir ici comme un écho moderne au petit Poucet abandonné par ses parents qui se retrouve de nuit dans la forêt et se prend courageusement en charge, semant ses petits cailloux pour revenir auprès des siens, sans griefs mais grandi.

C'est avec une écriture impeccable, pleine de retenue et de pudeur et capable d'évoquer tendresse, désamour, angoisse ou douleur avec la même délicatesse, que Thomas Sandoz nous livre en cent cinquante pages ce récit de lisière entre enfance et âge adulte, imaginaire et réalisme.
Un livre des carrefours, situé à l'endroit exact de ce passage effrayant et lumineux à la fois où, entre la vie et la mort, tout se joue.

Le gamin a de la chair et de la sensibilité et le lecteur, bercé par ces pages empreintes d'une humanité simple et profonde et d'une intériorité confiante dans l'homme et la vie qui parlent au cœur, se laisse prendre.
Un bon moment de lecture.

Dominique Baillon-Lalande 
(04/07/14)    



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Grasset

(Avril 2014)
160 pages - 14,50 €













Thomas Sandoz,
né en 1967, est un écrivain suisse, épistémologue et docteur en psychologie.
Il a déjà publié six romans et plusieurs essais.


Bio-bibliographie sur
le site de l'auteur :
www.ccdille.ch