Retour à l'accueil du site





Caroline SERS


Maman est en haut



Une histoire de famille.
Dans le rôle de la fille, il y a Cerise, la quarantaine passée, qui depuis sa séparation avec Gilles vit seule avec ses deux enfants, Rose, en pleine adolescence, et le jeune Vladimir.
Elle conserve peu de relations avec son père mais a droit plusieurs fois par semaine au coup de fil de sa mère avec laquelle elle entretient une relation compliquée.
« À chaque coup de fil de sa mère, elle se demandait si elle allait décrocher. Puis elle se décidait, poussée par la pensée un peu magique qu'ainsi elle repousserait l'échéance du prochain appel. »
Cerise qui cumule la prise en charge de l'éducation de ses enfants, l'acrimonie de sa mère au téléphone et le stress de son métier dans la communication a du mal à faire surface et se plaint de migraines de plus en plus fréquentes.
 « Les vacances étaient devenues toutes théoriques, car elle emportait toujours avec elle son portable-boulet. La fatigue aidant, elle s'était mise à haïr les clients et leurs demandes absurdes, vexatoires, stupides, ahurissantes, ridicules – les unes n'excluant pas les autres. »
Elle se demande parfois si elle ne devrait pas changer de boulot et, quand la tension est trop forte, se console avec le vin blanc toujours au frais.

Dans le rôle du fils, on trouve Cochise (qui a toujours souffert de ce prénom fantaisiste et se fait appeler Sébastien), jeune frère que Cerise a pris sous sa protection après le divorce de ses parents et avec lequel elle a gardé une vraie complicité. Un célibataire endurci assez secret dont on saura juste qu'il travaille dans un bureau, qu'« au fil du temps il s'était composé une seconde nature » et qu'il déjeune parfois au restaurant avec son père, un homme qu'il sait décevoir. Bien qu'il semble le préféré de sa mère, il ne lui donne que rarement des nouvelles et jamais ne décroche quand il voit son nom s'afficher sur son téléphone. Il est par ailleurs assez proche de son neveu Vladimir.

Enfin, il y a Marie, la mère. Une femme audacieuse et libre, égoïste et autoritaire ajoutent souvent ses enfants et leur père. Après son divorce, elle s'est montrée plus soucieuse de ses amours que de ses enfants à demeure chez elle une semaine sur deux. « En se remémorant ses jeunes années, Marie écrasait ses avocats avec une vigueur nouvelle. Oui, elle avait été vraiment heureuse à ce moment-là. Jusqu'à ce qu'elle rencontre Rémi... L'erreur de sa vie. La première. La seconde avait été de vouloir des enfants. »
Son caractère entier et explosif lui fait accumuler les problèmes avec les voisins et ceux qu'elle considère comme des imbéciles.

Et voilà qu'un soir la gendarmerie de la commune où Marie réside informe Cerise que celle-ci se trouve en garde à vue, sans autre explication. Inquiète, la fille se reproche d'avoir écouté sa mère d'une oreille distraite lors du traditionnel appel téléphonique de la veille. Aurait-elle pu lui éviter de faire une de ces frasques dont elle a l'habitude ? Elle n'imagine pas vraiment la vieille femme en venir aux mains avec ses voisins mais peut-on finir au poste de police pour insultes ? Qu’a-t-elle bien pu faire, encore ? Est-ce grave ?
Elle en avertit son frère qui botte en touche en lui répondant que de toute façon leur mère a toujours été « perchée » et que si elle était vraiment en danger elle les aurait prévenus.
Quand, quelques jours après, Cerise aura sa mère au téléphone, celle-ci refusera catégoriquement d'évoquer cet épisode laissant planer un mystère complet sur la cause et les circonstances de cette interpellation. 

Comme si cela ne suffisait pas, dans la foulée, l'ami de longue date également patron de Marie lui apprend qu'il plaque tout et a revendu sa start-up. Et pour compléter le tout c'est très étrangement son ex, avec lequel elle a réussi à conserver une bonne entente quant aux gamins, qui demande à la voir seule très rapidement...

C'est alors que Marie convie, pour ne pas dire convoque, avec le ton directif qui lui est coutumier, enfants et petits-enfants à lui rendre visite pour le week-end. À charge bien sûr pour Cerise d'en informer et d'amener son frère qui refuse depuis plusieurs années de mettre les pieds chez elle.

« Maman est en haut, perchée depuis des années ; en haut de l’arbre généalogique. Une position idéale pour lâcher quelques bombes ! » conclut l'éditeur dans la quatrième de couverture. Effectivement, on imagine assez aisément vu le contexte, que le petit week-end en famille à la campagne risque de ne pas être de tout repos….

 

Ce roman, autour des deux beaux personnages de femmes qui en sont les protagonistes essentiels, aborde la complexité des relations familiales et celle de la transmission. Mais (et Caroline Sers fait là acte d'une véritable originalité) au-delà de cette problématique personnelle qui trouve aisément un écho en chacun de nous, l'auteur en glisse adroitement une autre plus sociologique : la confrontation de deux générations que tout oppose.
Les parents, enfants de l'après-guerre, ont vécu leurs jeunes années à cette période de paix où la jeunesse en rupture avec ses aînés avait voulu croire que l'avenir lui appartenait, se battait pour un monde sans chaînes où chacun pourrait s'épanouir. Une époque de plein emploi et d'envol de la consommation marquée par la liberté sexuelle, le principe de l'autogestion et les communautés libertaires. Par l'engagement politique aussi, souvent. De ce rêve-là Marie n'est jamais revenue.
Mais de ce passé Cerise et Cochise n'ont ni la connaissance ni les clefs. La société avait bien vite enterré les utopies de 68 et tout ce qu'eux vivaient enfants c'était la difficulté de se faire leur place et de trouver leurs repères dans cette famille hors normes volontairement marginale. Avec une éducation, Cochise l'explique clairement, qui les coupait des autres.
Plus tard, dans une société façonnée par le néo-capitalisme libéral, la compétition et le chômage, qu'auraient-ils pu comprendre de plus si ce n'est prendre leur mère restée bloquée sur sa jeunesse comme une femme « perchée » et égoïste ?
Si la première partie du roman nous offre le point de vue de la fille, la seconde nous propose celui de la mère, histoire de donner sa chance à chacune de s'expliquer pour laisser le lecteur se faire son propre avis.

Caroline Sers défile son histoire de façon vive et attachante à travers les dialogues et les pensées des deux femmes et de Cochise sans jamais s'étendre explicitement sur ce fossé des générations, se contentant de le donner à voir. Et si cela relève d'une belle adresse et permet au roman de focaliser son lecteur avec beaucoup d'humour et de complicité sur le thème universel et intemporel des relations familiales et interpersonnelles des personnages, je serais tout de même curieuse de savoir si les lecteurs de l'âge de Cerise ou son frère auront la même grille d'interprétation que la mienne...
Comme le dit l'auteur dans une interview : « Le roman est un observatoire. J'essaie d'apporter mes réponses, puis chaque lecteur se projette et cherche les siennes. »

C'est une réjouissante comédie dramatique, bien rythmée, qui nous tient en suspens jusqu'à l'explosion finale qui nous renvoie à un débat d'actualité d'importance, habitée par des personnages riches et attachants bien ancrés dans la réalité d'aujourd'hui, une histoire assez décalée pour être plus piquante et drôle qu'anxiogène, que Caroline Sers nous offre avec ce livre au titre subtilement choisi. 
Réjouissant !

Dominique Baillon-Lalande 
(14/11/16)    



Retour
Sommaire
Lectures









Buchet-Chastel
(Octobre 2016)
256 pages - 15 €







Pour visiter le site
de Caroline Sers :
www.carolinesers.fr





Découvrir sur notre site
d'autres livres
du même auteur :

Tombent les avions


La maison Tudaure


Les petits sacrifices


Des voisins qui vous veulent du bien


Le regard du crocodile


Sans les meubles