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Alberto TORRES-BLANDINA

Le Japon n'existe pas



Cette affirmation, c'est Salvador Fuensanta, homme d'entretien de l'aéroport qui l’assène à un voyageur en partance pour Tokyo, assortie d'une rocambolesque histoire comme celles qu'il a en stock pour tous les voyageurs, choisies avec discernement selon les destinations.
C'est avec plaisir que chaque matin il prend le bus pour aller à son travail. « Je vais bientôt prendre ma retraite et, pour être sincère, je n'en ai aucune envie. [...] Ici, je me distrais... et je me sens utile. Le travail nous grandit, grâce à lui on fait partie du monde, on est un rouage actif de la société. [...] Peu importe qu'on soit pilote, le vieux qui fait le nettoyage ou la très jolie serveuse, Nous faisons partie d'un tout et, si discrète que soit notre fonction, sans elle rien ne serait pareil. »
L’aéroport est le lieu où il peut aller à la rencontre de l'autre et laisser libre cours à son imagination, le décor où, à partir d'un sens aigu de l'observation et un goût infatigable du récit, il joue chaque jour ses mises en scène.  

En effet, l'employé atypique a coutume pendant son service d'interpeller les passagers en attente d'embarquement. Il ne se prive pas de leur poser d'étonnantes questions pour rebondir ensuite, au gré de leur destination, sur de bien étranges histoires. Comme un familier des lieux, il leur vante le chant du muezzin à Istanbul, le spectacle des soirées à Helsinki, la brume sur le lac de Côme, la maison de Dracula en Roumanie ou encore l'animation du centre-ville de Bangkok ou les mets en garde contre l'exotisme de pacotille qui leur est vendu.
« Pendant un mois, vous allez faire partie de la grande famille indienne ! Quand vous serez habitué, vous verrez, il y a des bons côtés... C'est précisément pour cela que vous y allez, non ? En connaissant d'autres cultures, nous pouvons mieux apprécier la nôtre. »

Quand nul n'attire son regard dans la salle d'attente, « un endroit où personne ne se dissimule parce que personne ne se connaît », ce narrateur impénitent exerce ses talents pour la serveuse de la cafétéria où il prend son café tous les jours ou la tenancière du relais de presse dont il est platoniquement amoureux. Comme un conteur, il pioche chez tous, voyageurs et collègues, pour constituer son répertoire, nourrir ses délires humoristiques et pleins d'esprit et transformer son matériau en voyages imaginaires qui ne sont pas toujours si éloignés de la réalité.

 

       Dans ce premier roman – dont chaque chapitre dédié à une histoire s'apparenterait à une nouvelle si l'originale personnalité et le ton du narrateur unique et une logique de renvois et d’allusions ne les liaient entre elles – l'auteur s'amuse avec malice à entremêler ses récits pour surprendre, interroger et mieux captiver son interlocuteur.

À partir de personnages plus étonnants ou touchants les uns que les autres, de références touristiques mais aussi sociologiques et surtout littéraires (« Si on voyage en Afrique il faut lire Kapuscinski, en Australie Chatwin, en Afghanistan Anne Seierstad, pour citer quelques noms et où que l'on voyage, "Les villes invisibles" d'Italo Calvino, vous ne croyez pas ? C'est le livre fondamental du voyageur. »), c'est un jeu permanent sur les identités (sous la tutelle de Pessoa), sur les mythes, la réalité et les impostures, qui nous est ici offert.
Et si, au fil des rencontres il distille avec intelligence et bonne humeur des anecdotes drôles ou émouvantes où l'amour et le destin sont souvent au rendez-vous, à travers l'histoire d'Eduardo le justicier malheureux, celle du poète finlandais mort sur un banc de l’aéroport, celle du Club des Désirs Impossibles ou celle d'Internet et de curieux « échanges de services » amenant un universitaire au Texas... c'est aussi à une savoureuse et habile critique des excès de la société contemporaine qu'il se livre, drapé avec humour dans la toge d'un vieux sage... de boulevard.
« La réalité n'est qu'une possibilité parmi toutes les autres. Et pas toujours la meilleure. »  

On ne s'ennuie pas une seule minute dans ce roman débridé et jubilatoire qui a reçu le prix « Las Dos Orillas » consistant en la publication simultanée du livre en Italie, Grèce, Espagne, Portugal et France.

Et si vous avez envie de savoir pourquoi « le japon n'existe pas », laissez-vous embarquer… Vous ne le regretterez pas.

Dominique Baillon-Lalande 
(14/12/15)    



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Lectures








Editions Métailié

(Juin 2012)
Collection Suites
160 pages - 9 €


Traduit de l'espagnol par
François GAUDRY












Alberto Torres-Blandina,
né à Valence en 1975,
est écrivain, musicien, chanteur-compositeur et enseigne l'espagnol.